Il est de bon ton, au nom d’une morale érigée au statut de Nouveau Testament, de s’octroyer la fonction de grand-prêtre censeur, sans bien sûr avoir lu l’ouvrage objet de la récrimination, mais au titre d’une Mauvaise vie[1] publiquement confessée. La violence de certaines condamnations aperçues sur Twitter à propos de Frédéric Mitterrand et de sa dernière actualité littéraire m’a évidemment donné envie d’acheter le livre – car ne perdons jamais de vue que ces nouveaux saints laïques sont aussi très souvent ceux qui pensent se laver de leurs péchés en les vomissant sur autrui.
Mon éditeur historique Jean-Pierre Sicre, fondateur de la maison Phébus, m’avait taxée, sur la 4e de couverture d’un recueil de nouvelles nommé Inconvenances, de « petite sœur indigne » du regretté Topor. Fidèle à cette appréciation assumée, je me suis donc plongée avec un double ravissement dans l’objet du délit : Brad, paru chez XO Éditions.
Nul besoin d’être fan de Brad Pitt pour se délecter du très beau livre que nous offre Frédéric Mitterrand. Il suffit d’aimer – les mots, la poésie, le cinéma, les instants sauvés de la basse condition humaine ; d’aimer apprendre, goûter à la culture d’un auteur qui nous enrichit l’air de rien, sans s’en vanter ni trop en faire. Dès les premières pages, j’ai retrouvé cette émotion si singulière, partagée au cinéma avec une des ex-femmes-de-ma-vie, qui traverse l’inégalé Lettres d’amour en Somalie[2]. Cette œuvre a essoré puis ressuscité mon cœur ; ma peau s’y est froissée puis retissée. Ce que j’ai ressenti relève de ce qui se tait – parce que c’est cela, l’art. C’est celui qui vous cloue le bec. C’est celui qui vous invente sans vous façonner.
Me glissant dans les pages de Brad, j’ai été saisie du même enchantement. Frédéric Mitterrand, dont la culture est une gourmandise à rouler en bouche jusqu’à l’orgasme, nous embarque dans le parcours de Brad Pitt avec une tendresse, une intelligence et un sens de l’humour devenus un or rare. Il y a là quelque magie – ou sorcellerie – qui nous soulève, nous déplace, nous dépose, nous reprend – et soudain, une petite pique, une délicieuse litote, un clin d’œil, une révélation : ah ! ces indiscrétions à croquer dont jaillit quelque liqueur aigre-douce, j’en redemande ! De film en film, nous changeons de salle, et grâce à cette écriture qui est elle-même une sorte de présence cinématographique, nous voyons ou revoyons les œuvres, cachés derrière la plume de Frédéric Mitterrand. On entendrait presque les voisins faire « Chut ! » au cinéma – arrêtez donc de manger des pop-corn et écoutez battre les phrases, c’est un hymne à l’émotion.
Frédéric Mitterrand qui, au moment où je rédige ces lignes, lutte contre la maladie, est un de ces écrivains dont chaque page est une sorte de radeau sans capitaine où nous sommes libres de grimper ou pas, sans connaître la destination ou le but. Frédéric Mitterrand n’est pas dans le « faire » et encore moins dans la quête d’un résultat. Il part sans bagage – et vogue la littérature jusqu’aux grandes chutes, où peut-être un jour nous renaîtrons.
Martine Roffinella
Écrivaine-photographe ; prête-plume.
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[1] La mauvaise vie, Frédéric Mitterrand, 2005 ; La mauvaise vie, suite…, 2007, éd. Robert Laffont.
[2] Film documentaire de Frédéric Mitterrand (1982).