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Femme Rêve Liberté

« J’ai mis un peu de temps à comprendre ce qu’on porte à l’étranger, à marcher les épaules dégagées et la tête droite. À tourner le cou librement. Sans avoir peur que mon foulard glisse », explique l’une des douze autrices du recueil Femme, Rêve, liberté publié aux éditions Actes Sud sous la direction de Sorour Kasmaï. Et s’il est un acte sincère à accomplir en ce début d’année 2024, c’est bien d’acquérir cet ouvrage dont les bénéfices des ventes seront reversés à Iran Human Rights, ONG notamment en lutte contre la peine de mort.
Les douze voix de femmes iraniennes qu’il nous est ici donné à entendre s’expriment chacune de manière très différente mais chaque histoire porte en elle un bouleversement voire de la sidération, et pour ce qui me concerne, de l’effroi mêlé d’une affection viscérale qui me laisse pourtant les bras vides. Je voudrais serrer ces femmes contre mon cœur mais je ne brasse que des mots pendant que là-bas, si près pourtant, leur identité est « raturée ». Que dire en effet du chagrin d’une mère quand son fils, âgé d’à peine trois ans, se permet déjà de « critiquer » son habillement ? Le foulard a recouvert « de force » l’âme et l’esprit des femmes en Iran. « Nous devions cacher nos vrais rires, nos vraies larmes » – « ils ont fait de nous des êtres qui ont tellement menti, tellement vécu dans le mensonge, que c’est à grand-peine que nous pouvons nous souvenir de ce que nous sommes ».
Le foulard est une oppression – il figure « le talon de l’oppresseur » qui s’appuie sur la gorge de chaque femme contrainte de le porter.

Le 16 septembre 2022, la jeune Mahsa Jina Amini meurt sous les coups de la patrouille de l’orientation islamique, dite « police des mœurs ». Cette exécution déclenche aussitôt une révolte que la répression policière peine à éteindre, car elle puise son origine dans une lutte en réalité « plus que centenaire », nous explique Sorour Kasmaï, et dans « un vieux rêve » brisé par les ayatollahs après la révolution de 1979 : celui de l’émancipation des femmes. C’est précisément au-travers des douze histoires ou récits qui nous sont proposés que nous en comprenons les racines, les enjeux, les symboles.
En « tabouisant » le corps de la femme et en le rendant « invisible sous des couches de tissu », la moitié de la population a donc été, par le hijab, mise à l’écart de la vie publique et soumise à la « surveillance » de l’autre partie dominante, celle des hommes. Les femmes étaient pourtant « avides d’instruction, d’indépendance et de créativité », et dès mars 1979, elles ont manifesté en masse pour combattre leur mort sociale annoncée. En somme, elles n’ont jamais cessé de lutter – et il faut instamment les lire pour saisir l’immensité de leur courage face au pouvoir masculin qui veut les transformer en viande. Auront-elles seulement le « droit à leurs propres sanglots » ?
Mesdames, je vous ai lues une à une, et je me permets ici de vous exprimer nominativement ma gratitude.
Merci Sahar Delijani ; merci Fahimeh Farsaie ; merci Sorour Kasmaï ; merci Zahra Khanloo ; merci Azar Mahloujian ; merci Nasim Marashi ; merci Aida Moradi Ahani ; merci Bahiyyih Nakhjavani ; merci Asieh Nezam Shahidi ; merci Parisa Reza ; merci Rana Soleimani ; merci Fariba Vafi.

Martine Roffinella
Écrivaine-photographe.