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Femmes écrites par elles-mêmes

Un « désir » ; une « jouissance ». Le premier est du genre masculin ; la seconde prend la marque du féminin. Ce qui précède l’acte sexuel – ou d’amour si vous préférez – est longtemps resté implicitement la prérogative des hommes : c’était à eux de sélectionner leurs proies, en d’autres termes de « faire la cour » (draguer ; mater), et ces dames devaient y répondre avec goût et délicatesse, sous peine d’être traitées d’aguicheuses, de marie-couche-toi-là voire de péripatéticiennes (putains). La jouissance prodiguée par ces généreux messieurs devait principalement aboutir à une grossesse, car si un homme a des « besoins » à satisfaire (« vider les bourses »), les femmes, elles, sont censées n’être pas soumises aux pulsions sexuelles, puisqu’elles n’ont pas de queue ni de testicules à vidanger régulièrement. D’ailleurs les pauvres choutes sont sensibles et délicates (le terme « minauder » leur va si bien) – et même le modèle vigoureux de la working woman n’est pas parvenu, sauf dans le cas de personnalités perverses objet d’œuvres cinématographiques, à imposer l’idée qu’une femme désire aussi violemment (et volontiers bestialement) qu’un homme.
Grâces soient donc rendues à six autrices – Emma Becker ; Wendy Delorme ; Joy Majdalani ; Emmanuelle Richard ; Marina Rollman ; Laurine Thizy – de nous proposer d’autres modèles de référence que celui de la princesse charmante ou de la gourde victime de son ignorance qui n’a même jamais songé – non non non – à la masturbation et pour qui le verbe jouir est le sésame-ouvre-toi de l’Enfer (ce qui n’est pas faux – l’on y trouve de très bons livres). 

Ces dames, chacune avec un talent spécifique et toujours avec brio, nous offrent ainsi, au-travers de six nouvelles tombant pile-poil (si j’ose dire), un véritable manuel du déniaisage à offrir à toute personne aux portes de sa sexualité mais également à la quasi totalité des adultes qui les ont mal franchies, ces portes, et dont les certitudes ont bien besoin d’être (é)branlées.
Au commencement il y a le téton, « qui se manipule déjà comme un clitoris », puis la fellation, acte d’une « rock star » qui « décide avec une bouche pleine de dents de donner du plaisir plutôt que de mutiler ». Bander est résolument une faculté commune et la femme tout autant que l’homme peut être « maintenue des jours dans cet état de tension » qui permet au sexe de devenir le « seul moyen d’être au monde ». L’ouvrage ne se cantonne bien sûr pas aux relations hétérosexuelles. Côté lesbiennes, l’on peut aussi avoir le goût des « James Dean, en fille » qui ont « les codes de la virilité, sans sa toxicité ».
Chaque autrice vient ici démonter, par le biais de la fiction, tous les clichés qui sont autant de barbelés empêchant l’accès au plaisir. Les garçons ont parfaitement le droit de prendre « le visage de l’abandon », d’être « désarmés, désaguerris ; intenses émus sensibles ». Car c’est justement dans ces bras-là que se puise « la possibilité de la force, pas son usage, et avant tout la puissance ».
Cette puissance, les autrices de Désirer la manifestent sans ambiguïté et le menton haut, sans pour autant glisser dans le discours politique tournant à l’aigreur. C’est même tout le contraire qu’elles choisissent pour mettre en pièces l’hypocrisie dont la sexualité féminine est encore trop souvent encombrée. Elles peuvent aimer « prendre les mecs dans [leurs] filets pour [s]e faire prendre » et « aiguiser » leur « estime de soi sur leur queue » – car faire bander les hommes, n’est-ce pas le « seul pouvoir qu’ils nous ont laissé parmi tous » ? Elles choisissent, décident, et ont intégré le consentement « oral et explicite » comme un élément d’excitation supplémentaire dans le jeu des corps.
À ceux qui ne comprennent pas en quoi un « je peux ? » posé à un instant précis peut démultiplier le désir et incendier les peaux, je recommande la lecture de ces six femmes qui ont de toute évidence beaucoup à leur apprendre.
Aux autres – régalez-vous de ces bijoux d’intelligence, d’humour et d’érotisme diablement béni !

Martine Roffinella
Écrivaine-photographe ; prête-plume.

Désirer, par Emma Becker, Wendy Delorme, Joy Majdalani, Emmanuelle Richard, Marina Rollman, Laurine Thizy, est publié aux éditions L’Iconoclaste.