Rien que pour savoir si un jour ou l’autre, « au coin d’un parc, sur un quai, au bord d’un pont », votre silhouette a inspiré Fanny Saintenoy, il faut se plonger dans son livre jubilatoire et malicieux. L’autrice et son éditeur sont mes invité·e·s : venez vous régaler de leur « Parole » !
Imaginez ma surprise quand j’ai vu, ouvrant le livre de Fanny Saintenoy J’ai dû vous croiser dans Paris, que la maison d’éditions Parole était basée à Artignosc-sur-Verdon, soit à une dizaine de kilomètres du village où j’habite ! Pour autant, confinement oblige, nos contacts ont eu lieu à distance, et c’est par courriel que l’éditeur de Fanny, Patrick Cova, m’a raconté sa rencontre avec l’écrivaine et son texte.
La collection « Main de femme » – des livres à ne pas mettre entre les mains de tous les hommes –, ainsi que le format particulier du livre, m’ont également intriguée (Patrick Cova s’en explique ci-après).
Mais bien entendu, c’est le contenu qui m’a le plus enchantée – et je remercie Josyane Savigneau d’avoir attiré l’attention des lect·rices·eurs, sur le réseau Twitter, au sujet de cet ouvrage.
Il s’agit de petites enclaves, de segments d’histoires, de micro-tranches d’émotions, de lamelles de vies égrenées dans une ribambelle de quartiers de Paris – de Bel-Air à Jean-Jaurès, en passant par Les Halles, Daumesnil, La Chapelle, Charonne, etc. – et/ou de lieux : le Père-Lachaise, le parc Montsouris, le centre Georges-Pompidou, la piscine Pontoise…
Une foultitude de « je », au féminin comme au masculin – l’un « rêve d’Arthur Rimbaud, fatigué et ridé, devant sa cheminée », l’autre attend un homme qu’elle n’a « jamais vu » mais qu’elle connaît « par cœur ». Un « je » qui peut pareillement se fondre en un animal – « une mascotte noire avec des yeux jaunes ».
Les situations sont aussi diverses que variées : forcément, lect.eurs.trices, vous vous reconnaîtrez dans tel ou tel micro-scénario, et vous vous demanderez si Fanny Saintenoy n’était pas là, cachée dans un recoin d’avenue, pour tout noter de vos aventures !
Ce J’ai dû vous croiser dans Paris est un concentré agile, revigorant, lucide et poétique sur ce qui au fond constitue nos vies : un silence ponctué d’indicible que justement, par magie, Fanny Saintenoy parvient à capter.
Extrait, pages 19 et 20 :
J’ai vécu de longues années d’isolement, un peu résignée mais assez heureuse, largement occupée. Du travail, des loisirs, des amis. Il faut croire qu’une alerte a sonné, la peur de vieillir un peu plus dans le silence peut-être, la peur de parler seule un jour en écoutant la radio. Je ne sais plus rien de l’amour, de la sensualité. Comment s’embrasse-t-on ? Comment se déshabille-t-on ? A-t-on honte de cette tache sur sa peau, de ce bourrelet, de son propre trouble ?…
Je laisse maintenant la place à l’autrice puis à son éditeur, qui font vraiment plaisir à lire en ces temps anxiogènes.
Fanny Saintenoy raconte…
« Des phrases courtes, ma chérie »
C’est un livre de Pierrette Fleutiaux qui m’avait aidée à reprendre l’écriture de mon premier roman, Juste avant (éd. Flammarion, 2011), et ce titre me remonte souvent en tête quand je pense à ce recueil de nouvelles.
J’écris des romans serrés, petits, mes amis écrivains proches en ont fait un sujet de moqueries affectueuses et j’en ris aussi.
Alors quand j’ai commencé les nouvelles, je n’ai pas été étonnée qu’elles se standardisent vite à la miniature, deux pages et demie, le haïku de la nouvelle. C’est devenu un réflexe, une sorte de jeu.
Il faut un immense talent pour être un écrivain bavard.
J’aime de moins en moins Paris, ma ville, le bruit, le manque de nature, la violence sociale.
Peut-être que ce recueil, pourtant plein d’affection pour elle, est une façon de lui signifier mon désamour, une envie de départ.
Je la scrute, tout le temps, entre dégoût et compassion.
J’ai vécu ces dernières années en contact proche avec des photographes, je sais que leurs regards ont influencé mes textes. J’ai eu comme professeur d’université un grand sociologue, Louis Porcher, lui aussi a façonné mon observation du réel.
Je ne choisis pas mes sujets d’écriture, ils me tombent dessus […].
Je ne me suis pas levée un matin en décidant d’écrire un recueil de nouvelles sur la ville. C’est venu doucement, ça a mis longtemps et cette forme rétrécie a été un grand plaisir d’écriture, après le casse-tête qu’a représenté pour moi la construction de mon second roman, Les Notes de la mousson (éd. Versilio, 2015).
Je ne choisis pas mes sujets d’écriture, ils me tombent dessus, qu’ils me plaisent ou non d’ailleurs.
Pour le recueil, un personnage s’imposait, vu rapidement, proche de ma vie ou imaginé, un lieu s’y associait, bien connu ou traversé une fois, puis la petite mayonnaise montait.
Quelle situation ? Quelle scène ? Qui regarde ? Quelle est la chute ? Comment croiser autre chose avec ?
Et comme pour les romans, les thèmes qui comptent se glissent dans l’histoire.
Le recueil dessine un Paris des petites gens, clodo, femme seule, vieille dame, malade, migrant.
Je ne suis pas encore prête à écrire sur la grande bourgeoisie, la mode ou la finance, manifestement… ce côté social je le revendique, chacun ses domaines.
J’écris près de ma vie, en lien avec mon milieu, l’histoire de ma famille, mes colères, mes préoccupations.
La conception des nouvelles a été très proche de celle des peu de poèmes que j’ai écrits (avec regret), une sorte de macération douce, rêveuse et longue, et puis un beau matin, le texte tombe tout chaud, presque sans rien à retoucher à part le style.
Le contraire des romans, avec leur structure et leurs ficelles qui torturent la cervelle en permanence.
J’ai aimé passionnément, avec ce recueil, croire vraiment Être ces gens. Me glisser dans leur peau, comme le ferait un comédien, comme le font les enfants : on dirait que je serais une vieille qui perd la boule sur les quais de Seine, d’accord ?
Je ne change pas de projet à cause des refus.
J’ai eu le loisir de repriser les petits textes longtemps car aucun éditeur ne voulait s’aventurer avec cette forme, ni avec ce ton.
On m’a reproché la voix uniforme, voire monocorde, la non-progression.
Je ne change pas de projet à cause des refus. J’ai tenu à garder cela, justement, ce flou dans la narration.
Le Je qui raconte c’est moi, personne, n’importe quel Parisien, un enfant, une femme désespérée, un homme malade, un chat. Et finalement c’est un Nous, une petite assemblée d’humanité. Nous sommes les habitants fragiles et tenaces de Paris.
J’ai compris cela tout à la fin, en réfléchissant à la quatrième de couverture ; souvent on comprend ce qu’on a fabriqué après, quand les gens posent des questions, quand il faut parler « sur » le texte. Et à ce moment j’ai aussi pensé au magnifique livre Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka, qui raconte les histoires avec un Nous, un chœur de femmes.
Les éditions Parole étaient ma dernière tentative, heureusement que j’ai pensé à eux, grâce à L’Homme semence [Violette Ailhaud, 2013] découvert dans ma librairie préférée à Bergerac, en Dordogne, sur les lieux de mon premier roman. Les petits textes ont bénéficié de cette longue attente, des corrections régulières, du nettoyage incessant, c’est la partie que je préfère dans le travail d’écriture, le fignolage de pointe. Et pour cela, l’accompagnement de Claude Fosse, des éditions, a été important, délicat et respectueux, secouant, et tant mieux.
J’ai toujours lu énormément, écrit des tas de lettres, mais la vraie écriture m’est venue tard, un cadeau de maturité, la quarantaine. Elle m’a apporté une échappatoire, des paillettes dans une vie normale, un espace parallèle, et surtout des rencontres, beaucoup, fondamentales.
Des partages avec des écrivains que j’admire et/ou que j’adore en tant que personne, et des partages avec des lecteurs qui me touchent tellement.
Ces lecteurs qui vous écrivent, viennent à vous, vous racontent leur intimité comme si on se connaissait depuis longtemps, parce que la lecture du livre a induit cela, une proximité immédiate.
C’est cette magie-là qui me pousse souvent à continuer, à persévérer même quand rien ne se présente facilement. Souvent j’ai encore du mal à le croire, que c’est mon livre, que c’est mon nom sur la couverture, que c’est mon prénom en hébreu sur ce livre traduit… et c’est très bien ainsi.
C’est cela qui me sidère le plus dans l’écriture, les croisements entre la littérature et le réel…
Une anecdote pour conclure… la nouvelle qui raconte une femme assise sur la tombe de sa mère au cimetière du Père-Lachaise, c’est moi, je l’ai écrite au tout début. Elle m’a permis d’imaginer qu’un jour, un gardien viendrait m’importuner parce que je ne respecte pas la bienséance des lieux et que j’aurais le plaisir de l’envoyer balader.
Il y a peu j’y suis retournée et la scène s’est produite… exactement comme dans le texte, comme si on tournait une scène de film avec un scénario respecté au mot près.
C’est cela qui me sidère le plus dans l’écriture, les croisements entre la littérature et le réel… brouiller les pistes de la frontière.
Mon premier roman était très autobiographique ; mon second, pour ce qui est de l’histoire, pas du tout… Aujourd’hui, avec le recul, pas un instant je ne fais de différences entre mes personnages, qu’ils aient été ma grand-mère ou un petit garçon indien entièrement façonné dans ma tête.
Tous mes personnages, ceux des nouvelles compris, même s’ils sont esquissés très rapidement, forment une petite troupe de proches dont je ne sais pas exactement où ils se situent entre souvenir, imaginaire, rêveries, mais je les chéris équitablement.
Et un dernier livre à évoquer en signe d’affection, bien après l’écriture et la sortie du recueil, j’ai repensé, en faisant des dédicaces, à ce titre de Pierre Michon, Vies minuscules. Il n’y a évidemment aucun rapport entre les deux livres, mais les destins de J’ai dû vous croiser dans Paris sont exactement cela, des vies minuscules cueillies sur le trottoir. Et Pierre Michon les a aimés, ces petits textes, il suffit parfois d’un mot doux d’une personne très particulière pour remplir votre besace d’écrivain d’un trésor.
Patrick Cova, des éditions Parole, raconte…
La rencontre entre Parole et Fanny Saintenoy s’est faite de manière simple et naturelle. Elle connaissait certains de nos livres, dont L’Homme semence [op. cit.], et, sur les recommandations de Coline, une libraire alors installée à Bergerac et maintenant en Bretagne, elle a pris contact avec nous pour nous proposer le principe d’un recueil « d’instantanés » se passant à Paris.
Nous avons lu ses textes, nous nous sommes « croisés dans Paris » et avons décidé de donner vie ensemble à ce petit livre, un livre pas si petit que ça d’ailleurs par l’étendue de son humanité, par le regard acéré et tendre à la fois de son autrice, la justesse de sa plume.Mais petit par sa taille oui, puisque nous l’avons publié dans notre collection « Main de femme », qui ne propose pas des livres de poche mais plutôt des « livres de sac à main ».
Un livre que l’on sort de son sac à la terrasse d’un café, sur un banc public, assis au bord d’un quai. Et qui nous porte vers l’autre, que l’on soit à Paris ou ailleurs. Un livre qui fait du bien à l’âme.
Ce livre c’est un peu comme un oiseau qui se pose au hasard sur une branche, penche la tête, regarde et écoute les gens qui passent en parlant au-dessous de lui. Puis il change de branche, voit d’autres gens…
Aujourd’hui nous sommes heureux qu’il prenne un tel envol et que ce petit oiseau parte à la rencontre de tant de lectrices et de lecteurs.
J’ai dû vous croiser dans Paris, Fanny Saintenoy, éditions Parole, collection « Main de femme », 12 euros.
> Retrouvez Fanny Saintenoy :
Sur Facebook
Courriel : saintenoy(arobase)hotmail.com
Sur le site de Versilio (avec seulement les livres précédents) : https://www.versilio.com/fannysaintenoy/livres
> En savoir plus sur les éditions Parole :
Depuis 2004, date de leur création, les éditions Parole se définissent comme des « Éleveurs de livres » qui accompagnent les textes dans la durée, avec leurs auteurs, pour leur donner le temps de grandir et de trouver leur place.
Les premiers ouvrages sont vendus sur les marchés de Provence.
Au fil du temps, des relations durables avec des librairies indépendantes s’affirment sur tout le territoire francophone.
Aujourd’hui ce sont près de 900 libraires qui mettent en lumière les différentes collections du catalogue de Parole.
Toutes les informations sur les diverses collections sont sur le site des Éditions Parole.
> Liens utiles !
Lecture par Claude Fosse de J’ai dû vous croiser dans Paris : voir la vidéo.
Courriel : contact(arobase)editions-parole.net
Facebook
Instagram
Twitter
Site : https://www.editions-parole.net/
Heureuse découverte ! Comme vous, je suis sensible aux captations fragmentées du réel, à la narration photographique. La matière devient « miniature», modèle réduit.
Le temps qui s’exprime, le temps qui s’écrit est un concentré de vie, à base de pur jus ! Un maximum dans un minimum.
J’ai envie de rentrer dans votre microcosme parisien et découvrir quel « je » pourrait me ressembler !
Merci à vous !
Chère Vanessa,
Merci. J’étais sure que j’avais répondu, mais manifestement je n’ai pas fait comme il faut. J’aimerais bien savoir à quel personnage vous vous associerez, tenez moi au courant.
Merci de votre attention. Bien sincèrement.
Fanny