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“Admirable”

Les vieux sont-ils « presque des morts » crapahutant en lisière de la disparition – cette inépuisable source de mystère et de questionnement –, et les rides incarnent-elles somme toute la marque de la désignation officielle de la Camarde ? Supprimer les rides, est-ce pour autant échapper à la sentence finale, ou se créer l’illusion de « mourir jeune » en s’épargnant ainsi le lent « naufrage » de la défiguration par les ans ? Les rides ne servent-elles donc qu’à nous « creuser une multitude de petites tombes, sépultures de [n]otre jeunesse » ? Les interrogations ne sont pas nouvelles – mais la manière dont s’y prend Sophie Fontanel, non pas pour y répondre mais plutôt pour nous projeter dans un monde où toute trace du temps doit être lissée, est, elle, originale. En apparence, nous sommes d’emblée emmenés dans un conte : l’histoire incroyable de la dernière femme ridée, inopinément découverte sur Terre. Quelle peut en être la répercussion mondiale ? Sommes-nous à la veille d’un cataclysme humain ? S’agira-t-il de sauvegarder précieusement ou de faire disparaître cette ultime femme qui porte sur son visage les marques du passage du temps ? Nous sourions – quelle situation abracadabrantesque qui jamais ne se produira ! Mais plus nous progressons dans la lecture de ce conte, et plus nous y reconnaissons beaucoup de nos contemporains. Pire encore : nous nous y croisons en personne – mais que diable faisons-nous là ?… Car voilà qu’un médicament révolutionnaire permet de vieillir sans que notre apparence en soit modifiée. Mais oui c’est la vérité : « On reste comme on est, mais sans rides. » Et en plus, cela ne coûte que quelques centimes – pour toute la vie. En une seule dose, la peau redevient lisse, comme parfaitement « repassée ». Liquidés, les plis assassins de charme ! Place à la séduction liftée et aux œillades sans pattes-d’oie ! Vive l’éternel jeune âge de l’amour ! Tout le monde y souscrit. Même les religieux ont cédé à la tentation pour « avoir trente-trois ans le plus longtemps possible » – « ils voulaient tout du Christ, même son âge ». Et que dire des mères qui, à côté de leurs enfants, semblent être « de la même génération »… Cette cohabitation singulière entre faux et vrais jeunes ne peut aboutir qu’à une « mauvaise chute », au sens propre comme au figuré. Fort heureusement, l’inébranlable foi en l’humain qui anime Sophie Fontanel laisse entrevoir une autre issue, et une autre manière de nous dérider – mais chut ! Ne comptez pas sur moi pour vous dévoiler les tenants et les aboutissants de cette mystérieuse situation : lisez l’histoire de la dernière femme ridée sur Terre. Vous verrez, c’est « Admirable » – et à l’image de tout conte, si riche en enseignement atemporel. Précisément.

« Admirable », de Sophie Fontanel, est publié aux éditions Seghers.

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