N’est pas érotique qui veut – tout n’est pas permis, éructent les experts ad hoc. N’importe qui, fût-il ministre, n’est pas autorisé à parler du « renflement brun » d’un anus sous peine d’être piètrement réécrit par qui de droit. Les mêmes esprits éclairés érigent un mur de convenance entre érotisme et pornographie : le premier est admissible, il suggère la baise avec filtre – c’est coquin mais bibliquement toléré ; la seconde parle de bites et de couilles, de vagin et de clitoris, et là c’est le mal, sors de ce corps Satan ! Ayant longtemps été considérée comme « la spécialiste de l’érotisme saphique », je me suis heurtée souvent à des critères d’appréciation qui relèvent du préjugé simpliste. Lorsque j’ai publié Lesbian Cougar Story aux éditions de La Musardine, une libraire m’a dit : « Celui-là, je ne le commanderai pas. Je n’ai pas la clientèle pour ça » – vous noterez le « ça » qui vous dégrade d’un seul coup de votre qualité d’écrivaine.
Grâces soient donc rendues à Vanessa Springora qui, en créant sa collection « Fauteuse de trouble » au sein de la très honorable maison Julliard, force en quelque sorte un peu la main, si j’ose dire, de tout un chacun en offrant un choix de positions (oui) franches et « irrévérencieuses » sur la question sexuelle au féminin.
Ici même j’ai déjà dit tout le bien que je pense du livre d’Ovidie paru dans cette collection.
Et là je n’ai qu’un mot pour qualifier Odile l’été, d’Emma Becker : remarquable.
Livre digne en effet d’être remarqué par son audace, son expression libre, fraîchement lucide et drôle, son style à la fois fluide, goûteux et percutant, qui dit précisément ce qui est et suscite de concert le fantasme personnel : en cela, un bijou ! L’art d’Emma Becker est d’entortiller les mèches inflammables de la domination avec un tel talent que peu à peu, dans notre tête (et ailleurs) c’est une autre histoire qui s’écrit ou se révèle ; c’est notre propre corps de femme qui se met à tambouriner puis à symphoniser. Emma Becker alambique nos désirs inavouables et les transmute noir sur blanc, elle les valide – elle les autorise. Lisant ce récit, jamais pourtant ne nous effleure la question de sa véracité – pour quoi faire ? puisque tout y voyelle et consonne, tout y chaloupe et s’y contredit à l’instar des victoires et défaites de nos vies intimes, à nous les femmes qui finalement en parlons si peu.
J’ai ri, j’ai joui, j’ai revu en accéléré, comme avant de mourir paraît-il, ma vie sexuelle de sexagénaire – et précisément, grâce à Emma Becker, je me dis qu’elle ne fait que commencer.
Martine Roffinella
Écrivaine-photographe ; prête-plume.