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Ovidie : La chair est triste hélas

C’est un livre qui ne passe pas inaperçu et dont nombre de journalistes ont parlé avec intelligence, talent et/ou pertinence. Souvent la profusion d’avis agit comme un frein dans mon élan à découvrir un ouvrage qu’à force j’ai l’impression d’avoir déjà lu. Mais en l’occurrence, quelque chose m’attirait spécialement – peut-être une bouffée d’authenticité là où tout n’est que manichéisme, vociférations, injonctions et délations.
Ovidie et moi ne sommes pas de la même génération ; nous avons en commun d’avoir publié chez le même éditeur (La Musardine) sans jamais nous croiser et c’est tant mieux.
Oui, tant mieux. Car en quelque sorte, je suis entrée « vierge » – image parfaitement assumée pour une bourlingueuse de 61 ans –, « vierge », disais-je, dans La chair est triste hélas, qui n’est « ni un essai ni un manifeste », paru dans la collection « Fauteuse de trouble » dirigée chez Julliard par Vanessa Springora.
« Un jour, j’ai arrêté le sexe avec les hommes », écrit Ovidie.
J’aurais pu laisser mon imaginaire et/ou mes fantasmes tricoter le reste et donc tourner fébrilement les pages jusqu’à trouver pourquoi, comment et par quoi Ovidie avait bien pu compenser cet arrêt de la sexualité avec la gent masculine. En tant que vieille goudoue asociale et célibataire depuis des lustres, j’aurais pu murmurer (car je parle toute seule) : « Ah, mais bienvenue au club ! Allez zou, fin des services trois-pièces, mort aux queues, et vive le ratatinage des couilles ! »
Mais non, juré-promis : je n’ai rien pensé de tout cela, j’ai ouvert une page blanche en ma petite personne afin de laisser les vies d’Ovidie s’y poser.
Tout m’a séduite ; tout m’a enchantée. Justesse du ton, lumière du propos. J’ai ri, j’ai dit à Ovidie : « Là tu es rosse mais j’adore ça ! » À certains passages, j’ai murmuré : « C’est si vrai. » À d’autres, j’ai pensé : « Moi aussi. »
Plus je lisais, plus Ovidie devenait ma complice, l’amie que je n’ai jamais eue. Non pas un double ni une sœur, mais quelqu’une de ma contrée (insoupçonnable, cela va de soi).
Je pourrais vous résumer ce que contient ce livre – vous en citer des extraits, détailler les pans d’existence et de corps qu’Ovidie nous offre avec confiance et générosité. Je ne le ferai pas, car j’attends de vous que vous acceptiez vous aussi d’ouvrir une page blanche au creux de vous-mêmes pour faire place aux destinées d’Ovidie, qui sont autant de pierres blanches parmi nos aveuglements.

Martine Roffinella
Écrivaine-photographe ; prête-plume.

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