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Les « voies du cœur » du monde d’après

L’ouvrage vient du « monde d’avant » mais son contenu, franchement visionnaire, est d’une incroyable pertinence. Le Dalaï Lama et Eugen Drewermann nous offrent une parole libre et généreuse, nourriture atemporelle d’un cœur/chœur universel.

L’édition de l’ouvrage Les voies du cœur dont je dispose date de 2012, mais la première parution remonte à 1993 (éd. du Cerf) : il ne s’agit donc pas d’une « nouveauté » au sens commercial du terme, et pourtant quel scoop !

Car que de réponses et de clarifications y trouvons-nous concernant notre époque anxiogène !

Je dois bien avouer que je ne m’y attendais pas, et que la rédaction de la présente chronique n’était nullement prévue au programme.

En effet, je m’étais plongée dans ce livre, où « le Dalaï Lama et Eugen Drewermann témoignent de la complémentarité du bouddhisme et du christianisme », pour étoffer mes recherches relatives à un essai en cours d’écriture (Parcours d’une lesbienne en catholicisme).

Dès les premières pages, j’ai été saisie par l’actualité des propos tenus par l’un et par l’autre, rapportés à un monde qui, selon une espérance commune des humains « déconfinés », ne doit plus ressembler à celui « d’avant ».

Photo : ©RoffinellaMartine.

Dès l’introduction, signée par David J. Krieger, je lis que « tout emploi de la violence, qu’elle soit de nature politique, économique, idéologique ou religieuse, bloque et mine la franchise et l’absence de préventions qui sont nécessaires pour comprendre ceux qui croient et pensent autrement ». Et par ailleurs « aucun homme ne peut rester indemne si tout ce qu’il tient pour bon et vrai est nié par une autre vision du monde ».

Mon sourcil se dresse. C’est tout simple, mais voyons un peu…

Plus loin – le texte a été écrit, rappelons-le, en 1992 –, je lis : « Ce que nous mettons sur la table à midi, la quantité d’énergie dont nous avons besoin, l’endroit où nous investissons notre argent, tout cela exerce une influence directe sur la façon dont les hommes vivent à l’autre bout de la Terre, sur leurs conditions de travail, leurs chances d’auto-détermination, de développement et de justice. »

Ce David J. Krieger me met décidément bien en appétit dans son Introduction, et c’est avec un empressement curieux que j’entame la lecture du message du Dalaï Lama.

Tout ce que j’y lis me paraît avoir été écrit aujourd’hui, comme le constat que « le développement de la miséricorde, de la sympathie et de l’amour dans son propre cœur est le seul but qui nous concerne tous de la même façon ».

De ce fait, la « non-violence est un certain état d’esprit de l’être humain », c’est une « qualité spirituelle fortement liée à l’amour » à laquelle nous devons nous exercer si nous voulons « survivre sur cette planète ».

Un peu plus loin, je découvre cette phrase (apparemment prononcée en 1991 !), que je relie immédiatement à la crise sanitaire que le monde entier traverse en raison de l’apparition du coronavirus Covid-19.

« Si nous tombons dans un extrême, sans nous préoccuper de notre environnement et en continuant à piller les ressources de la terre, de nouvelles maladies peuvent survenir (…). Nous exerçons ainsi une forme de violence. »

En quelque sorte, « notre conduite personnelle envers notre environnement » déterminera nos chances de survie, sachant que chaque acte de violence de notre part non seulement nous sera rendu au centuple mais nous rapprochera de l’extinction.

Ainsi, le Dalaï Lama annonce que « le temps du désarmement est venu » – « un désarmement spirituel, intérieur et un désarmement matériel, extérieur ».

Qu’en dit Eugen Drewermann, théologien et psychothérapeute (qui connut quelques déboires avec la hiérarchie catholique en raison de ses idées « dérangeantes ») ?

Eh bien ! que selon sa « conviction », « nous, qui nous nommons chrétiens, nous devrions devenir davantage bouddhistes pour être davantage chrétiens ».

Et d’ajouter (en 1992 !), s’appuyant sur la Genèse (Gn 1, 29-31), que « l’être humain doit se nourrir des plantes des champs, mais non pas des animaux » : « Aussi longtemps que des hommes tueront des animaux, ils feront aussi la guerre. Aussi longtemps que des hommes mangeront des animaux, ils tortureront à mort leurs victimes innocentes. »

Dans cette optique, Drewermann nous présente une analyse tout à fait inédite du Notre Père, qu’il adapte à un mode de vie contemporain et responsable, notamment à propos du fameux « délivre-nous du mal ».

Pour le théologien et psychothérapeute, le « mal réel » est « l’esprit d’angoisse qui refuse le développement et la transformation, et qui fuit la responsabilité ».

Et selon lui, « plutôt errer que de ne rien apprendre de plus », et « plutôt commettre des fautes qu’étouffer sous une masse d’exactitudes et d’amabilités ».

Sa prière ne manque pas de panache : « Fais-nous plutôt échouer et faire naufrage sur des côtes lointaines que ne nous jamais laisser entreprendre le voyage dans l’inconnu » – « Arrache-nous à l’absence de courage, arrache-nous à l’entêtement dans le passé, arrache-nous au refuge de la vie ; arrache-nous à l’étroitesse. »

Photo : ©RoffinellaMartine.

Pour ma part, je me suis spécialement régalée de l’interprétation que fait Drewermann du fameux Sermon sur la montagne (Matthieu, 5, 38-48), en l’occurrence, s’agissant de non-violence : « À celui qui te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. »

Par un brillant et si pétillant raisonnement, il nous est démontré, sans aucun doute possible, que « toute violence n’est rien que détresse éperdue » et que « l’amour des ennemis » est avant tout « une forme plus patiente, plus tolérante, plus ouverte et plus unifiée de commerce avec soi-même », car la « haine de l’autre surgit des mêmes travers et des mêmes blocages que ceux que l’on trouve dans son propre moi ».

Drewermann ne s’arrête évidemment pas à l’étude de la Bible, puisque l’objet du livre Les voies du cœur est de permettre un dialogue entre les religions et philosophies, en particulier le bouddhisme, mais également le taoïsme, l’Islam… L’on y trouvera aussi une formidable référence au roman Alexis Zorba, de Nikos Kazantzakis, qui m’a laissée ébahie et heureuse.

Oui, Les voies du cœur est vraiment un livre à penser mais aussi un inépuisable déclencheur de bonheur, d’envie de vivre en vérité et avec grâce.

Par les temps qui courent : un trésor !

Les voies du cœur, Dalaï Lama et Eugen Drewermann, éditions du Cerf, 14 euros.

 

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2 commentaires sur “Les « voies du cœur » du monde d’après”

  1. Cette analyse inédite du Notre Père par Drewermann me parle et rejoint la pensée de Nietzsche dans “La naissance de la tragédie”. On y aperçoit les deux faces de l’être humain, Apollon et Dionysos – les deux tendances opposées.
    La beauté, la tempérance et l’ordre contre la démesure, l’extravagance et la folie. Les deux instincts marchent main dans la main pour proposer leur vision du monde, pour imposer deux destins. Pour savoir de quel côté pencher – il faut s’être un peu cogné.
    « Osez être des hommes tragiques car vous serez sauvés » – voici “La naissance de la tragédie”, sous la plume Nietzsche. À travers « la connaissance tragique » de son monde, on peut espérer le transformer.
    Merci pour cette chronique passionnante ! Que de pensées à méditer …

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