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Quelques phrases de Maître Eckhart

Être Dieu en Dieu : tel est le titre du savoureux ouvrage regroupant des textes de Maître Eckhart, ce brillant théologien et prédicateur dominicain condamné au XIVe siècle, après sa mort, pour hérésie. Voici quelques-unes de ses pensées saillantes.

Le petit et précieux ouvrage, publié chez Points Sagesses (série « Voix spirituelles ») : Être Dieu en Dieu, nous offre des textes choisis et présentés par le philosophe et historien Benoît Beyer de Ryke, lequel connaît bien l’œuvre de Maître Eckhart et la mystique rhénane.

La 4ème de couverture du livre nous précise qu’en son temps, Maître Eckhart (v. 1260-v. 1328) était, de réputation, celui « à qui Dieu n’a jamais rien caché ». Il fut pourtant condamné post-mortem pour « hérésie » parce qu’il a « voulu en savoir plus qu’il ne convenait », et qu’il prêchait « en langue vulgaire des subtilités théologiques devant les gens du peuple, risquant ainsi d’égarer les simples croyants ».

Photo : ©MartineRoffinella.

Sur le contenu – qui nous intéresse tout spécialement en cette période charnière entre ancien et nouveau monde –, on lui reproche d’avoir « enseigné l’éternité du monde, l’identité complète de l’homme juste et de Dieu ainsi que le caractère incréé de la partie intellectuelle de l’âme ».

Eckhart ne se considérait pas comme un hérétique, car, disait-il, « l’erreur est affaire d’intelligence, l’hérésie dépend de la volonté ».

Dans sa préface à ce passionnant ouvrage, Benoît Beyer de Ryke nous précise judicieusement que si Eckhart se regardait comme un « bon chrétien », sa « voix porte à présent au-delà des cercles chrétiens », car il était « avant tout un mystique » – « or la mystique transcende bien souvent les particularismes religieux et permet de faire des rapprochements entre des courants de pensée très différents ».

Photo : ©MartineRoffinella.

Ainsi à propos du détachement qui porte à « n’être accessible qu’à Dieu » – thèse partagée, au demeurant, par nombre de philosophes.
« Or le détachement, explique Maître Eckhart, est si proche du néant que rien n’est assez subtil pour trouver place dans le détachement, sinon Dieu seul. Seul il est simple et si subtil qu’il peut bien trouver place dans le cœur détaché. C’est pourquoi le détachement n’est accessible qu’à Dieu. »
« Le détachement parfait ne considère nullement qu’il doit se courber au-dessous de quelque créature ni au-dessus de quelque créature ; il ne veut être ni au-dessous ni au-dessus, il veut être là de lui-même (…) il veut être et rien d’autre. » Car « celui qui veut ceci ou cela veut être quelque chose, alors que le détachement ne veut être rien ».

Photo : ©MartineRoffinella.

Ce « détachement immuable conduit l’homme à la plus grande ressemblance avec Dieu ».
Car « Dieu est Dieu du fait de son détachement immuable, et c’est aussi du détachement qu’il tient sa pureté et sa simplicité et son immutabilité », et si l’homme doit « devenir semblable à Dieu », ce sera « par le détachement ». Cette « ressemblance » devra être « l’effet de la grâce, car la grâce détache l’homme de toutes les choses temporelles » – « le pur détachement se situe au sommet ».

Photo : ©MartineRoffinella.

Penchons-nous sur ce qui suit, d’une modernité incroyable : « (…) je prie Dieu qu’il me libère de “Dieu”, car mon être essentiel est au-dessus de “Dieu” en tant que nous saisissons Dieu comme principe des créatures. Dans ce même être de Dieu où Dieu est au-dessus de l’être et au-dessus de la distinction, j’étais moi-même, je me voulais moi-même, je me connaissais moi-même pour faire cet homme [que je suis]. C’est pourquoi je suis cause de moi-même selon mon être qui est éternel, et non pas selon mon devenir qui est temporel. C’est pourquoi je suis non-né (ungeboren) et selon mon mode non-né, je ne puis jamais mourir. »

Quant à la connaissance de Dieu : « Quand l’âme est aveugle et ne voit rien d’autre, elle voit Dieu (…). Un maître dit : l’œil dans sa plus grande pureté, du fait qu’il ne contient aucune couleur, voit toute couleur. »

Et donc : « Si Dieu doit être connu de l’âme, il faut qu’elle soit aveugle » – « si minime, si pur que soit ce par quoi je connais Dieu, cela doit être écarté » : « Il faut saisir Dieu comme mode sans mode, comme être sans être ».

Photo : ©MartineRoffinella.

La 4ème de couverture de ce savoureux ouvrage Être Dieu en Dieu nous précise que Maître Eckhart « n’avait pas la volonté d’être hérétique », et que ses « thèses furent mal comprises ».

Sans doute à cause de phrases comme : « Dieu n’est ni bon ni meilleur ni le meilleur. Celui qui dirait que Dieu est bon parlerait aussi mal de lui que s’il disait que le soleil est noir. »

Une vision qui n’est en rien « hérétique » et que d’ailleurs je partage, ainsi qu’en témoigne cet extrait de mon essai en cours d’écriture : Avoir foi en l’incertitude.

Photo : ©MartineRoffinella.

Mais terminons bien sûr par Maître Eckhart et cette phrase à méditer, qui situe très clairement notre importance :
« Nulle chose ne communique de ce qu’elle possède en propre, car toutes les créatures ne sont rien par elles-mêmes. Tout ce qu’elles communiquent, elles le tiennent d’un autre. »

Photo : ©MartineRoffinella.
Être Dieu en Dieu, Maître Eckhart. Textes choisis et présentés par Benoît Beyer de Ryke. Éditions Points, coll. « Points Sagesses », série « Voix spirituelles », 6,50 euros.

 

 

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3 commentaires sur “Quelques phrases de Maître Eckhart”

  1. Maître Eckhart a été condamné pour hérésie car sa pensée n’a pas été comprise par ses détracteurs. En effet, le théologien offre un optimisme ou un pessimisme ? Sa pensée illustre-t-elle une liberté ou une aliénation ?
    Ses détracteurs n’étaient pas prêts à s’ouvrir à l’incertitude. Ils n’étaient pas prêts à s’ouvrir à cette liberté. Cette vision de l’incertitude est pour moi, à rapprocher de celle d’Emil Cioran. Pourtant ce chantre du pessimisme a développé cette idée qu’on aurait pu se maintenir dans « un état de pure possibilité », de «  non né ». Un temps qui nous précède, « le temps qui nous appartient en propre ».
    L’âme résiste-t-elle à la tentation de l’incarnation ?

    Merci Martine pour cette lecture. Pointue et infiniment passionnante.

  2. Très bonne idée, Martine. Si je ne me trompe, Beyer de Ryke enseigne à l’Université Libre de Bruxelles. Si vous aimez les mystiques, avez-vous lu Ruisbroeck l’Admirable? Henri Michaux le tenait en haute estime (Paul Gadenne aussi, je crois). La littérature du Moyen Age – comme sa musique – est encore bien mal connue. Il faut plus de défricheuses comme vous.

  3. C’est l’excellence !
    Et ne pas confondre avec l’Allemand Eckhart Tolle dont les enseignements précieux également, réunis dans une trilogie, croisent en ligne directe ceux du Maître dont Martine nous fait partager la source spirituelle . Nous en avons tous tant besoin !

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