C’est ma chère amie écrivaine Félicie Dubois (aux manettes du blog littéraire « Les Mémorables ») qui un jour me fit la surprise de m’envoyer La Pesanteur et la Grâce, remarquable ouvrage de Simone Weil dont je me suis dit qu’il vous plairait d’entendre quelques échos.
« Deux forces règnent sur l’univers : lumière et pesanteur », écrit Simone Weil, et d’emblée, en pénétrant dans ce livre : La Pesanteur et la Grâce, nous savons qu’une conscience va sans doute s’éveiller, se débarrasser en tout cas d’une pollution qui n’a jamais été aussi épaisse et gluante.
Je pourrais vous dresser ici le portait de cette femme stupéfiante, « partie de la philosophie pour entrer en religion », nous dit la quatrième de couverture du livre, « née dans une famille d’origine juive pour se rapprocher du christianisme » – « jeune fille de la bourgeoisie » parvenant pourtant « aux confins de la plus atroce misère matérielle ».
Mais j’ai plutôt envie, par ces temps dits de « confinement », de vous emmener en promenade dans son écriture, afin que chacun.e d’entre vous puisse, à sa façon, s’y attarder, s’y nourrir peut-être – et se reposer du monde.
Dans sa préface – ou plutôt dans son « Post-scriptum, cinquante ans après » –, Gustave Thibon dit de l’œuvre de Simone Weil qu’elle est « lumière pour l’esprit et nourriture pour l’âme », sans qu’il soit besoin de « l’actualiser », car elle « émane de ce sommet de l’être qui surplombe tous les temps et tous les lieux ».
Plus que jamais, me semble-t-il, et quelle que soit notre condition, nous devons nous interroger sur notre présence ici-bas, et sur ce que signifie au fond le mot création, si souvent galvaudé et mis à n’importe quelle sauce, du moment que c’est « bankable ».
« La création est faite du mouvement descendant de la pesanteur, écrit Simone Weil, du mouvement ascendant de la grâce et du mouvement descendant de la grâce à la deuxième puissance. »
Et juste après : « La grâce, c’est la loi du mouvement descendant. »
Pour en arriver à ce constat : « S’abaisser, c’est monter à l’égard de la pesanteur morale. La pesanteur morale nous fait tomber vers le haut. »
Je ne sais pas vous, mais à moi cette dernière phrase fait l’effet d’une immense possibilité de joie, juste après la découverte, ou du moins la vérification que « tomber vers le haut » est l’aboutissement de toute une vie – à mon sens l’humilité, source d’ultime vérité.
Plus loin, dans le chapitre Accepter le vide, je lis : « Ne pas exercer tout le pouvoir dont on dispose, c’est supporter le vide. Cela est contraire à toutes les lois de la nature : la grâce seule le peut. »
Et donc : « La grâce comble, mais elle ne peut entrer que là où il y a un vide pour la recevoir, et c’est elle qui fait ce vide. »
Mais par-dessus tout, je retombe ce matin sur la phrase ci-après, alors que je suis moi-même en pleine écriture d’un essai qui a pour titre : Pourquoi Dieu est mon père – Et il est rock’n’roll !
Voici ce qu’écrit la lumineuse Simone Weil, dans le chapitre Détachement : « Si on aime Dieu en pensant qu’il n’existe pas, il manifestera son existence. »
C’est incroyablement vrai ! Je suis sidérée et heureuse d’absorber littéralement cette affirmation, laquelle m’a donné l’envie de communiquer avec vous, lect.rices.eurs, à propos de cet ouvrage d’une brûlante et touchante actualité.
Dans le chapitre Renoncement au temps, je m’approprie puis vous partage cette phrase qui semble avoir été écrite aujourd’hui : « Quand la douleur et l’épuisement arrivent au point de faire naître dans l’âme le sentiment de la perpétuité, en contemplant cette perpétuité avec acceptation et amour, on est arraché jusqu’à l’éternité. »
Pour terminer (temporairement) ma brève promenade dans La Pesanteur et la Grâce, un constat qui n’a jamais été aussi lucide : « L’équilibre seul anéantit la force. »
Aux dirigeants de tous pays, j’invite à lire et relire ce qui suit : « L’ordre social ne peut être qu’un équilibre de forces. Comme on ne peut attendre qu’un homme qui n’a pas la grâce soit juste, il faut une société organisée de telle sorte que les injustices se punissent les unes les autres en une oscillation perpétuelle. »
Et de conclure : « Si on sait par où la société est déséquilibrée, il faut faire ce qu’on peut pour ajouter du poids dans le plateau trop léger. Quoique le poids soit le mal, en le maniant dans cette intention, peut-être ne se souille-t-on pas. »
À bon entendeur…
Quel bel esprit ! Quelle subtilité dans la pensée et dans son mouvement. Les extraits choisis illustrent parfaitement ce cheminement, ce déplacement. Simone Weil propose une logique qui inverse les paradigmes, apportant un surplus de fluidité. Freiner ce qui est trop facile, accélérer ce qui circule mal pour débloquer, faire glisser, assouplir. Quand l’intelligence ondoie, un mouvement ample nous entraîne avec grâce dans une réflexion pour passer entre les mailles du filet de la pesanteur.
Merci pour cette belle lecture !
Je te remercie pour ce partage, ma chère Roffi, ce passage de témoin d’une âme à l’autre et tutti quanti – plus on est de fous, plus on rit (ne pas oublier l’importance de la Joie et de la Gaieté dans le cœur et l’œuvre de Simone).
« La Pesanteur et la Grâce » est un de mes livres de chevet, de ceux qui ne cessent jamais de vous accompagner. Et si, à telle époque de ma vie, j’entendais plus clairement certaines phrases, à d’autres, j’en souligne de nouvelles.
Ce texte est une source vive, il inaugure admirablement cette nouvelle rubrique.
Pascal David (religieux dominicain et philosophe, qui a écrit plusieurs ouvrages sur elle) dit : « C’est une femme qui fortifie,et purifie et clarifie le regard. »
Et C. Bobin dit d’elle, « je suis ébloui par Simone Weil. La pensée guérisseuse de Simone Weil invite tout à la fois au détâchement absolu et à l’amour fou. La vérité chez elle entre partout » (cahier de L’Herne Sur C. Bobin – article sur la clarté d’une femme).
Bref je n’ai plus qu’à relire cet ouvrage lumineux, dont la lecture il y a quelques années m’avait marquée.
Quel choix judicieux ! On a soif en permanence de telles phrases qui sont souvent nos guides pour trouver la lumière, quand trop d’ombres tentent de nous en faire oublier l’essence même pour nourrir notre esprit et…le quotidien. Merci Félicie, Merci Martine pour ce cheminement en partage.