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Denis Morin, chef d’orchestre des mots

C’est un homme qui ne manque pas de cordes à son arc ni de petites flèches ailées (zélées ?) pour toucher notre âme puis susciter la précieuse intimité d’un enchantement. Nos chemins se sont heureusement croisés sur les réseaux sociaux (qui servent aussi à véhiculer la poésie !), d’abord grâce à notre amour commun pour la chanteuse Barbara, puis par passion des mots dont il use avec magie. Denis Morin est l’invité de Roffi Blog pour parler de son travail.

Barbara et Félix Leclerc, en un CD Audio de Poésies biographiques, lues par Jacqueline et Jean-Claude Barral.

Québécois vivant à Deux-Montagnes, près de Montréal, Denis Morin a la chance d’avoir à la fois des racines françaises, anglaises et « probablement » amérindiennes. Il « adore manier la poésie pour révéler la vie intime ou publique d’un artiste » – en l’occurrence ici deux « enfants issus de milieu modeste », qui ont connu « les vêtements rapiécés » et d’innombrables difficultés, avec, chevillée au corps, cette incroyable « volonté d’aller plus loin ». Ces deux artistes auxquels Denis Morin s’est intéressé de très près ont « fréquenté les mêmes scènes, à la même époque » : en réunissant Barbara et Félix Leclerc en un même CD, c’est un pont de poésie qui est tissé entre le Québec et la France, avec en illustration sonore le Nocturne N°18 de Chopin.

« J’écris depuis l’âge de onze ans », nous confie Denis. « À cette époque, ma mère écrivait à ses sœurs par les longs soirs d’hiver sur du papier fleuri. Il me semblait alors que c’était le meilleur temps de la journée. Elle paraissait sereine. » Pour composer sa poésie biographique – dont il nous explique ci-après plus en détail le fondement –, il lit beaucoup, il écoute, il établit des chronologies, et la plume se faufile entre tout cela, pour un résultat tout à fait splendide, mis en valeur par le talent de Jacqueline et Jean-Claude Barral.

Leur lecture des 17 poèmes de « Barbara, Ebène et Ivoire », puis de la version intégrale de « Félix Leclerc, L’homme et la Poésie », soulève bien des vagues d’émotion et de nostalgie confondues, entre douceur du souvenir et silence intime sur ce qui n’est plus.

« En a-t-on assez de courir après le temps qui passe, de l’argent aussitôt gagné, aussitôt perdu ? En a-t-on assez du tourbillon des nouvelles consommées comme un goût insatiable à travers les faits et la souffrance des autres ? »

Le lien, ou le fil ténu, entre les différents registres poétiques que visite Denis Morin est sans doute dans ce questionnement-là, avec un « soi-même qui se transforme en un feu de Bengale, éclatant quoiqu’éphémère ».

La nécessité d’une spiritualité – ici cistercienne – devient criante, et c’est avec une soif d’être que nous glissons dans la lecture passionnante de Notre-Dame du Verbe ou Architecture d’une âme. La poésie de Denis nous immerge dans une vie monastique (« tant à l’époque de Bernard de Clairvaux qu’à une période plus contemporaine ») dont la « pertinence » nous semble plus que jamais « d’actualité ».

En effet, ne désirons-nous pas « comparer [notre] brièveté à l’éternité », « peser la gravité du Précieux sang », « Raffiner un marais », « Remuer l’humus et germer au désert », « Embraser la psalmodie » ? N’aspirons-nous pas à « accueillir les affamés d’Existence », « Avec les champs parvenus à maturité/ annoncer l’Humilité » et « Par une vie clémente,/ aux humains dans la tourmente/ annoncer la Bonté » ?

Denis Morin nous rappelle que l’abbé Pierre (fondateur des Compagnons d’Emmaüs) « comparait les monastères à des lieux qui aspirent l’air vicié de la détresse humaine en haute montagne », le « vivifient » et le « régénèrent » avant qu’il ne « redescende vers les villes ».

C’est ce qui se produit à la lecture de Notre-Dame du Verbe ou Architecture d’une âme : on en ressort « vivifié » et « régénéré » !


.Quatre questions à Denis Morin

MARTINE ROFFINELLA : Racontez-nous comment est née cette idée très originale de Poésies biographiques. Quel a été votre cheminement, et comment avez-vous procédé pour établir un « pont » entre deux genres littéraires somme toute assez différents ?

DENIS MORIN : J’aurais voulu être professeur de littérature et d’histoire de l’art. J’aurais aimé aussi enseigner l’histoire. Des ennuis de santé m’ont fait interrompre le cursus académique. Je fus tour à tour libraire, journaliste culturel, éducateur en déficience intellectuelle, éducateur en santé mentale, puis secrétaire-archiviste en milieu religieux. Bref, je suis devenu un caméléon au fil du temps.

Or, les poésies biographiques sont en fait la fusion de ma fascination pour les mots posés sur le papier et les mots lus depuis mon enfance, tout comme ma curiosité pour les couleurs sur les toiles et les personnes sur une photo en noir et blanc.

En outre, je n’avais pas eu conscience de débuter un genre littéraire singulier. Ce sont Jacqueline et Jean-Claude Barral – alias Adret Web Art – qui font la conception des livres audio et prêtent leurs voix aux personnages, qui m’ont fait réaliser l’avenue singulière que j’empruntais.

M. R. : Toujours dans ce registre des poèmes biographiques, qu’est-ce qui inspire le plus votre écriture ? La vie de l’artiste ou bien ses œuvres ? Les deux parfaitement imbriqués ? Selon quel dosage ? Souvent il est dit qu’il faut séparer l’œuvre de la vie d’un artiste… Qu’en pensez-vous ?

D. M. : Pour la distance entre l’artiste et l’œuvre, je ne suis pas certain qu’il faille toujours fréquenter ces gens dans la vraie vie. Je crois que seuls les artistes se comprennent entre eux. L’individu derrière la personnalité publique est ce passant ennuyeux laissé en coulisses, mais dont l’artiste se nourrit pour créer son double de scène. Barbara puisa dans sa propre vie pour transposer le tout en de merveilleuses chansons. Félix Leclerc, en taiseux et en solitaire qu’il était, soulevait le public avec ses chansons où il racontait les jours de son père et de ses frères. Il se faisait témoin d’une Nouvelle-France conquise qui voulait s’émanciper et grandir en tant que nation souveraine.

Il me plaît de montrer les différents aspects de l’artiste, puisqu’à la fin on retient un air de chanson, un regard, un timbre de voix, une image. Moi, au quotidien, je souris et je parle peu, mais si l’on retient de mes poèmes un vers ou deux, je serai l’homme le plus heureux.

En cours d’écriture d’un recueil, une fois la chronologie établie, je confie mes mains à la personne sur qui j’écris. Ainsi, pour le recueil sur Barbara, je la voyais marcher le long de la Seine ou à Précy-sur-Marne dans son jardin. Les images, les mots viennent à moi. Je n’ai plus qu’à écrire. Souvent, le personnage veut avoir le dernier mot. Il me dicte sa pensée. Je deviens l’éclairagiste qui enligne les projecteurs pour mettre en évidence l’étoile qui tient l’affiche.

Somme toute, sous mes dehors d’homme tranquille, je suis un passionné qui avance par des coups de cœur, que ce soit pour des artistes de variété, des cloîtrés ou des créateurs dans leur atelier.

M. R. : Concernant votre travail sur la spiritualité – notamment cistercienne, pouvez-vous nous éclairer sur le chemin que vous avez suivi pour aboutir à cette exploration poétique-là ? Quelles sont les résonances intimes qui vous ont guidé dans la conception du recueil Notre-Dame du Verbe ou Architecture d’une âme ?

D. M. : Vos questions me font prendre conscience du fait que j’ai toujours aimé les lieux liés au silence (bibliothèques, églises, monastères) et à la parole (cinémas, théâtres, salles de spectacle), comme si dans ces lieux tout devenait possible avec le décorum, le respect et le mystère.

Pour les Cisterciens, j’ai tenté de décrire ce segment du monachisme. La recherche a débuté par l’architecture pour continuer avec l’histoire. Puis, tout s’enchaîne, tout se tient, comme les mailles d’un tricot. Lors de l’écriture, j’ai intercalé certains personnages historiques avec le parcours d’un homme trentenaire qui entrait en religion. Ce recueil fut écrit en écoutant uniquement le silence et parfois la musique du compositeur estonien de musique sacrée Arvo Pärt, qui vit à Berlin maintenant.

M. R. : Quels sont vos projets, autant dans le domaine des poèmes biographiques qu’en littérature plus généralement ? Pouvez-vous nous dévoiler quelques pistes ?

D. M. : Je viens de terminer il y a quelques semaines à peine l’écriture d’un recueil sur Marguerite Duras. L’enregistrement est prévu pour l’automne. Cet été, je compte reprendre l’écriture d’un roman débuté en 2015, mais je vais surtout m’attarder sur l’écriture de catalogues sonores pouvant être utilisés lors de visites de galerie ou bien pour présenter l’art aux personnes ayant un handicap visuel. Adret Web Art et moi, nous comptons développer une collection de catalogues sonores, intitulée Les femmes dans l’art, pour présenter des peintres, des photographes, des plasticiennes et leur donner à notre façon une juste place.
Bref, les projets ne manquent pas. Merci pour vos commentaires et pour cet entretien.


https://ecrivainpoesiedenismorin.org/

http://www.adret-webart.fr/catalogues-sonores.php

Barbara, Ébène et Ivoire – Félix Leclerc, L’homme et la Poésie, Denis Morin. CD Audio 41’32” VOolume.fr. Création de © Adret Web Art – Poésies biographiques lues par Jacqueline et Jean-Claude Barral : https://voolume.fr/produit-livre/litterature-langues/barbara-ebene-et-ivoire-felix-leclerc-lhomme-et-la-poesie/  17 euros

Barbara, Ébène et Ivoire, Denis Morin, Edilivre https://www.edilivre.com/barbara-ebene-et-ivoire-22ff110ac0.html/ version papier, 9,50 euros

Félix Leclerc, L’homme et la Poésie, Denis Morin, Edilivre https://www.edilivre.com/felix-leclerc-l-homme-et-la-poesie-254e57e61d.html/ version papier, 10 euros

Notre-Dame du Verbe ou Architecture d’une âme, Denis Morin, Edilivre, https://www.edilivre.com/notre-dame-du-verbe-ou-architecture-d-une-ame-20b0cd16e2.html/ version papier, 9,50 euros

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