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Novembre d’une écrivaine

Les personnes qui me font la grâce de suivre mes différents comptes sur les réseaux sociaux savent ce que novembre 2025 m’a apporté de joie par brassées !
Fi des « sanglots longs » du monotone automne verlainien, puisque le Centre national du livre m’a accordé une bourse de création de quinze mille euros, après examen de mon projet d’écriture du roman La Tentation d’être seule. La joie ressentie à l’annonce de cette formidable nouvelle procure d’abord un soulagement d’ordre pécuniaire, car pouvoir se consacrer à l’écriture sans courir après des travaux de correction de plus en plus rares et mal payés est une chance énorme. Mais c’est aussi une sorte de fortifiant jubilatoire : après tant d’années de luttes incessantes et de travail acharné, une reconnaissance de l’œuvre menée dans son ensemble est ainsi signifiée. Voici d’ailleurs ce qu’a mentionné la commission ayant statué sur mon dossier :
« Une trentaine de livres publiés. Les ouvrages transmis sont fins et bien écrits, on y trouve une quête de la vérité, un style minimaliste et incisif. Le projet, inscrit dans la continuité de son travail, frappe par sa radicalité. L’extrait est convaincant. »
Ce n’est pas la première fois que le CNL m’accorde une bourse – la dernière en 2021, pour l’écriture de Venise Off (publié avec succès aux éditions La Manufacture de livres en 2024), et précédemment encore, au début des années 2000, pour l’écriture du recueil d’histoires Recherches de fuite, édité en 2009 par Jean Paul Bayol (sous la houlette de l’excellente Félicie Dubois). Mais en ce novembre 2025, ce soutien à la poursuite de mon travail a eu un autre retentissement intime – peut-être parce que j’ai eu soixante-quatre ans cet été, et que pour maintenir le cap que je me suis fixé depuis que j’ai cessé de boire en 2013, cette aide-là est tombée à l’exact bon moment, juste au bord du fatal désespoir. Un mot m’a particulièrement ravie dans le compte rendu de la commission : « radicalité ». Il fait le lien avec la deuxième bonne nouvelle de novembre 2025 : la signature du contrat avec les Éditions des Utopies pour mon recueil de poèmes Éclatilles. Cette parution à venir est un enchantement, à l’instar du lien avec l’éditeur si galvanisant. Et en quoi, me demanderez-vous, cela constitue-t-il un lien avec la « radicalité » précitée ? Mais tout simplement parce que pour évoquer ces Éclatilles, l’éditeur parle de « chant d’insoumission envers la norme ».
Rien ne peut davantage me réjouir !

Ceci expliquant peut-être cela – les termes « radicalité » et « insoumission » à mon endroit, je veux dire –, je suis tombée sur les Carnets d’une soumise de province, de Caroline Lamarche, et j’en ai été stupéfiée au sens positif du terme. Je n’avais encore rien lu de cette écrivaine et j’ai donc tout découvert en rafale : une approche thématique éblouissante et un style à tomber par terre. Soit. Mais le livre refermé, j’ai pensé qu’en notre ère actuelle, ce texte cru et puissant, édité en 2004 chez Gallimard, ne verrait pas le jour pour cause d’autocensure. À moins de le présenter comme un exposé contrit, douloureux – et surtout victimaire. Alors que Caroline Lamarche, si elle décrit bien une relation d’emprise, laisse toute clairvoyance à son héroïne pour analyser certes violemment ce qu’une femme vit, recherche, subit, assume – refuse. En parallèle, j’ai aussi repensé à mon livre Le Fouet, paru en 2000 chez Phébus, et qui lui non plus ne serait à coup sûr [sic] plus édité de nos jours. Il s’agit d’une femme qui, détruite sexuellement par un pédophile (le terme pédocriminel n’était pas employé à l’époque) à l’âge de douze ans, décide de se venger à l’aide d’un fouet et de terribles punitions sadiques envers des femmes, qui ne sont en réalité que des facettes de sa propre personne aux douleurs dédoublées. Comme Lamarche, j’avais choisi la fiction musclée – alors qu’aujourd’hui, on nous réclamerait des témoignages à cœur fendre.
Or à moi il semble que la littérature est parfois (d’abord) là pour mentir vrai, prêcher le plaisir pour faire jaillir la souffrance : choquer, oui, remuer, déchirer, révolter – jusqu’à hurler le « chant de l’insoumission ». Naître et mourir dans le même chapitre ; se souvenir d’une page comme d’une frontière à exploser, d’un corps de mots à recomposer – en toute « radicalité ».
Comptez sur moi en tout cas.

Martine Roffinella
MES JOURS Sous le pavé la plume.


2 commentaires sur “Novembre d’une écrivaine”

  1. Vous avez, Martine, un sillon bien à vous, unique. Tout à fait à part, hors du courant « mainstream » actuel de l’édition. Si j’osais (et je marche ici sur la pointe des pieds), je dirais que le titre de votre chronique serait encore plus percutant en le renversant : « Sous la plume, le pavé ». Lancé comme il faut, où il faut.

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