Est-ce le poète Yves Navarre qui « écrivait des romans », ou bien « le romancier » qui « se nourrissait de poésie » ? Dans sa postface au recueil « Chants de tout et de rien – Chants de rien du tout », Philippe Leconte nous indique qu’il « sera toujours difficile de trancher », les « frontières » chez Navarre n’étant pas délimitées. Raison de plus pour nous y promener.
D’abord, régalons-nous, en guise de mise en rêve, des titres qui nous sont proposés pour découvrir peu à peu ce que contiennent ces Chants de tout et de rien – Chants de rien du tout.
- Chants de la mort derrière, la vie devant
- Chant du chapeau oublié
- Chants de la maison de tapioca
- Chants de l’heure qui fut exquise
Lectrices et lecteurs, je vous le demande : même si vous ne goûtez que rarement à la poésie, n’êtes-vous pas attiré.e.s par le délice de ces intitulés ?
Allons-y, feuilletons le livre ensemble, si vous le voulez bien – car nous sommes invité.e.s à un partage d’émotions qui nous sont à la fois familières et paradoxales, d’élans qui se fraient en nous et que le poète, ce sorcier magicien, nous restitue en tenue de beauté.
Parle-moi
dis-moi les choses
que je comprends
rien que les mots
qui sentent bon
des mots comme ça
tout simplement
avec la force du dedans
En découvrant cette facette du travail de l’écrivain Yves Navarre, disparu depuis 1994, nous sommes convié.e.s, ainsi que l’espère Jean Perrenoud dans sa préface, à « lire autrement » son œuvre, « à la lire au-delà du texte, au-delà de la trame romanesque », afin que « les poèmes camouflés » dans tous ses écrits « apparaissent comme par percolation ».
La métaphore est à la fois belle et d’une grande justesse, et c’est en effet ainsi que je me suis délectée de ces Chants de tout et de rien – Chants de rien du tout, car il y est question de « rêves, de rencontres, si peu souvent abouties, de la douleur de vivre » – « dialogues avec soi et aussi avec nous » qui « illuminent » et « … chantent ».
C’est ma chanson du dedans
toute en surface
apparemment
mais à y entrer
au fil des mots progressivement
on double la dame à cheveux blancs
sans dire pardon
ni même adieu
on laisse aux jeunes
le soin d’être vieux
et chaque jour
on rajeunit d’un jour
(…)
À quel moment Yves Navarre, qui, rappelons-le, obtint le prix Goncourt en 1980 pour Le Jardin d’acclimatation, écrivit-il ces poèmes ? « L’aventure de ce petit livre commence peut-être à Paris, le 26 avril 1973 », explique Philippe Leconte dans sa très intéressante postface – car il est presque miraculeux, finalement, que ces Chants soient parvenus jusqu’à nous, « retrouvés en août 2016 » (je vous invite à découvrir où et dans quelles conditions ! c’est page 90 du livre).
Navarre a déjà, en ce temps-là, une « vie bien remplie ». Il a publié Lady Black (1971) et Évolène (1972) – et dispose de dix-sept autres manuscrits précédemment « refusés par les éditeurs ». Ce qui fait dire à Philippe Leconte que le présent « petit livre s’inscrit par conséquent dans la filiation navarienne », prenant place « au côté des Loukoums et du Cœur qui cogne » – « toute l’œuvre à venir s’y pressent déjà ».
Où que j’aille
je m’éloigne du même fleuve
et du même ponton
où que j’aille où
je suis la barque-prison à vie
(…)
et plus loin :
Le vent brasse les parfums
il retrousse les manches
se jette dans le lavoir de la vie
et il nettoie tout ça
plusieurs fois il me soulève
je suis amoureux du géant.
Mais s’il est « urgent » que ces poèmes « trouvent leurs chanteurs », ils ne s’abordent cependant pas « à la légère », et si « on les lit trop vite ils nous échappent ».
Alors lisons et relisons-les « doucement » afin que, comme l’écrit si bien Philippe Leconte, « ils nous tenacent ».
Chants de tout et de rien – Chants de rien du tout. Yves Navarre, poèmes inédits, avec des calligraphies de Hugo Laruelle. Préface de Jean Perrenoud. Postface de Philippe Leconte. H&O éditions, 12 euros.
Association Les amis d’Yves Navarre : www.amis-yvesnavarre.org
Email : contact[@]amis-yvesnavarre.org
Twitter : @AmisYvesNavarre
Je vous remercie pour ce bel article, cette belle “mise en rêve” rehaussée de ces illustrations qui m’intriguent (encres ?)
Je me commande immédiatement ce recueil de poésie.
Belle journée à vous.
Chère eMmA,
Ce recueil est en effet illustré de très belles calligraphies à l’encre (bleue, bien sûr, couleur d’Yves Navarre), du peintre Hugo Laruelle, qui ajoutent à l’enchantement des mots.
Très cordialement.
Merci infiniment pour votre réponse Monsieur Dhellememmes. Je vais me délecter de ces calligraphies très prochainement (j’aime énormément l’association du bleu/noir des encres)
Très cordialement.
La magie de la vie, dans ses méandres, offre aux héritiers de la littérature le droit, et surtout ce bonheur si précieux d’extraire des tiroirs les oeuvres de certains, partis beaucoup trop tôt comme Yves Navarre. Découvrir la poésie de cet amoureux du Canada et de la vie, après avoir connu ses romans et surtout ses journaux dans lesquels il se révélait sans pudeur et naturel. Admirable mise en page illustrée de calligraphies au plus près de toute l’essence de cet homme. Merci à Martine Roffinella pour cet hommage mille fois mérité et à l’éditeur d’avoir permis cette belle publication.
Oui moi aussi, j’apprécie quand les poèmes sont accompagnés d’illustrations car ça devient un superbe cadeau à offrir et à s’offrir ! La poésie ne se vend pas facilement, nous le savons, alors l’objet livre doit être très précieux. Mots et calligraphies, c’est une association parfaite. J’ai des amis qui écrivent des poèmes. Je ne cesse de leur dire 😉
Merci Martine pour l’article.
Je connaissais yves Navarre romancier, tu me l’avais fait découvrir il y a bien longtemps Martine ( “le petit galopin de nos corps” , bien sûr “Le jardin d’acclimatation ‘ …) et dernièrement je suis retombée en cherchant des livres dans ma bibliothèque sur “une vie de chat” un de ses derniers livres je crois, que je compte bien relire…
Aussi c’est avec grand plaisir que je vais me plonger dans sa poésie ,car après avoir lu ta chronique j’en ai l’eau à la bouche et c’est avec délice que je retrouverai les mots de cet écrivain parti bien trop tôt
Bonjour Martine, je viens de partager ce billet sur Yves Navarre et celui sur Ella Balaert sur FB, Twitter et LinkedIn. Merci pour tout ce que tu fais pour la littérature et merci aussi à toi d’être la femme de lettres que tu es ! Cordialement. Denis Morin