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Une women story devenue success story grâce aux réseaux sociaux

Dans ses « remerciements » qui précèdent le texte de son roman, Stéphanie Vidonne indique : « Merci… à vous lecteurs, sans qui ce projet littéraire n’existerait pas. » D’abord parue en feuilleton sur son site web, l’histoire a très vite capté bon nombre de personnes, pour atteindre les 2 000, ce qui a évidemment encouragé Stéphanie à prévoir une édition « papier » de son livre.

Alors de quoi s’agit-il ? De deux femmes qui se cherchent – c’est le cas de le dire puisque l’une d’elles est aveugle, mais l’on constatera que le livre fait voler en éclats tous nos a priori de « voyants » sur ce sujet ! –, l’une étant bisexuelle et l’autre pas. Celle qui « voit » le mieux sur le plan des pétillements du désir n’est bien sûr pas celle que l’on croit, et même si le « je » qui s’exprime ne revendique aucune homosexualité, la révélation vécue, à la fois psychologique et physique, prête à réfléchir et pose question.

D’une certaine façon, cette union incandescente entre deux femmes que tout devrait opposer, mais qui s’interpénètrent jusqu’à la fusion, vient prouver – si besoin était (encore) ! – que le désir est somptueusement infini, et que chercher à l’encager dans telle ou telle définition ne fait que produire exclusions en chaînes et frustrations.

C’est à mon sens ce qu’il faut avant tout retenir de l’ouvrage de Stéphanie Vidonne, et ce au-delà des questions d’identité sexuelle, autrement plus complexes (qui ne sont pas le sujet de ce roman). Être lesbienne ou pas, se définir comme « bi » ou pas : à quoi bon rechercher à tout prix une « codification », du moment que la personne (c’est-à-dire ce joyau que chacun d’entre nous doit apprendre à peaufiner entre naissance et mort) trouve son point d’éclosion autrement nommé bonheur ?

« Cette sensation nouvelle était enivrante, incroyable ! » écrit l’héroïne après l’amour (p. 121). « Et pour une fois, mon corps et mon esprit semblaient ne faire plus qu’un : chaque sensation ressentie était prise en compte. Il ne s’agissait plus d’étouffer ce que je pouvais éprouver mais bien au contraire de laisser la volupté de ces sensations nouvelles m’envahir entièrement. » CQFD !

Martine Roffinella : Stéphanie Vidonne, votre ouvrage s’inscrit a priori – même si ces « codes » peuvent paraître un brin restrictifs et castrateurs – dans le genre « romance », entre deux femmes en l’occurrence, l’une d’elles étant aveugle. Acceptez-vous cette « classification » ou souhaitez-vous nous exposer ici votre perception si elle vous paraît « autre » ?
Photo : ©RoffinellaMartine.

Stéphanie Vidonne : Avant de répondre à votre question, il me paraît important de faire remarquer le parallèle qui existe entre cette épineuse question de classification de mon roman et le refus de cette étiquette « bi » de mon personnage homodiégétique. Tant mon livre que Lila semblent refuser d’appartenir à une catégorie. Et je dois avouer que je suis extrêmement satisfaite de pouvoir, d’emblée, aborder un sujet qui me tient à cœur !
Pourquoi devrions-nous systématiquement accepter de rentrer dans des cases, restrictives et manquant de nuances ? Refuser d’appartenir à une catégorie établie par la société est, à mon sens, une liberté fondamentale, qui permet tant à mon personnage principal qu’à tout individu d’expérimenter et de vivre pleinement, sans risquer de tomber dans la peur du tabou ou de l’auto-censure.

Ainsi, à l’écriture de mon roman, j’ai refusé de me plier aux exigences préétablies d’un genre unique, mais j’ai apprécié de pouvoir naviguer au gré de mes envies entre poésie, lyrisme, romance et lubricité. S’il est évident que cette absence de classification rend son descriptif plus ardu, je pense pourtant que c’est ce qui lui confère une part de mystère et, je l’espère, de charme.

M. R. : Votre héroïne (qui parle à la première personne) dit clairement qu’elle n’est pas homosexuelle : « Je ne suis pas lesbienne : je le sais. Ma maigre expérience en matière d’amour et de sexualité me permet de l’affirmer. » (page 82) Pourtant, elle est « troublée » par Véro, qui est bisexuelle. Pourriez-vous nous expliquer ici ce « trouble » qui flotte à chaque page du livre et qui concerne sans doute bon nombre de femmes ? Comment le décririez-vous et quelle(s) part(s) de vous-même touche-t-il ?
Photo : ©RoffinellaMartine.

S. V. : Je pense que nous touchons, ici, au problème que j’évoquais précédemment : le refus d’appartenir à une catégorie imposée par le regard de la société morale et, souvent, castratrice. Mon héroïne reconnaît presque d’emblée son attirance pour Véro, bien que le trouble éprouvé lui fasse peur. Elle refuse cependant catégoriquement d’être cataloguée « bisexuelle ». La question sous-jacente étant : où se situe la bisexualité ? Est-ce qu’apprécier le corps d’une belle femme en constitue déjà les prémices ? Quelles sensations éprouvées me feront franchir cette limite dictée par des personnes étrangères à mon fonctionnement intime ? Est-ce qu’apprécier une femme pour son sens de l’humour, son intelligence ou sa bonté d’âme fait de moi une bisexuelle ?

J’ai eu la chance de grandir dans une famille ouverte d’esprit, dans laquelle ces questionnements étaient discutés et où le tâtonnement sexuel, de même que l’expérimentation, étaient, si ce n’est encouragés, du moins largement autorisés. Cette ouverture d’esprit dont j’ai héritée m’a permis, par le passé, d’accepter le trouble que je pourrais ressentir en compagnie d’une femme attirante, tant physiquement qu’intellectuellement, sans juger nécessaire de m’affubler d’une quelconque étiquette. Mais laissant vivre les possibles.

M. R. : Votre livre débute sur le mal-être d’une femme qui se cherche et qui n’a aucune estime pour elle-même. La rencontre avec Véro, qu’un problème médical a rendue aveugle, ressemble à la fois à une épreuve redoutable (dans le parcours initiatique de la quête de soi) et à un feu d’artifice sensoriel. Que pensez-vous que votre « je » qui s’exprime ici ait retiré de cette expérience amoureuse forte avec une femme ? Ce « je » a-t-il été modifié en profondeur, côté âme et côté cœur ? Si oui de quelle façon concrète ?

S. V. : Absolument ! Vivre cette expérience amoureuse avec Véro a permis à Lila de s’extirper de son marasme émotionnel. Elle revendique d’ailleurs cet apprentissage qui lui permet, dès lors, de vivre et d’appréhender les épreuves traversées différemment. Il est évident qu’il lui faut lutter pour conserver cette folie acquise, une folie éminemment positive et salvatrice, mais qui l’éloigne par moments de la réalité, ou du moins, de notre réalité. J’aime le terme de « feu d’artifice sensoriel » que vous utilisez ici, qui regroupe à lui seul les notions de force, de couleurs, de sons et d’émotions, et qui fait écho à la synesthésie à laquelle je fais référence lors de certaines scènes érotico-poétiques.

M. R. : La rencontre charnelle avec une femme est décrite sans fard, comme une sorte de révélation à la fois éblouissante et sacrément tumultueuse. Vous écrivez, après la première relation sexuelle avec Véro : « Quelque chose avait changé en moi. Je sentais… mon corps. » (p. 121) Vous poursuivez : « Et croyez-le ou non, je me sentais belle, désirable, sensuelle (…) mon corps venait de s’éveiller à la vie. » Pourriez-vous nous expliquer ici de quelle manière, au-delà de la simple jouissance physique, cette union au féminin a pu en quelque sorte faire « naître » votre héroïne ? Sa conscience de femme (entre autres !) semble s’être éveillée précisément là : pourriez-vous nous en dire plus sur cet « éveil » ?

S. V. : Les rencontres charnelles qui unissent mes deux personnages féminins ne sont, en réalité, que la conclusion d’un cheminement personnel, entamé dès leur première rencontre. Le point d’orgue d’une prise de conscience générale d’un état « semi captif », éprouvé par Lila tout au long de sa vie, et dont Véro seule est capable de l’extraire. Captivité émotionnelle tout d’abord, dans une ville qui ne lui permet pas de se transcender et dont elle ne parvient pas à s’extraire. Elle est, dès lors, incapable de percevoir la poésie du monde qui l’entoure. Captivité physique ensuite, emprisonnée dans un corps qu’elle abhorre.
Si ses relations précédentes ne l’ont que confortée dans cet état d’esprit sombre et dépréciatif, Véro saura l’éveiller à elle-même, tout en l’invitant à découvrir un monde onirique, aliénant parfois la sombre réalité au profit d’une chimère. La concomitance de ces libertés émotionnelles, sensitives et psychologiques conduit effectivement à l’éveil de mon personnage.

M. R. : Venons-en à l’histoire à proprement parler de votre texte, qui n’est pas banale.
Vous avez délibérément évité, semble-t-il, le circuit classique qu’emprunte un manuscrit (envoi à un éditeur pour soumission) pour décider vous-même de son mode de diffusion. Votre démarche a été couronnée de succès. Pourriez-vous nous raconter comment vous avez procédé, et selon quel schéma ? Où en êtes-vous, sur le plan du nombre de vos lecteurs ?

S. V. : J’ai effectivement choisi de m’abolir des contraintes éditoriales et du carcan du monde de l’édition, afin de jouir d’une liberté créatrice plus importante d’une part et d’un contact plus direct avec les lecteurs, d’autre part.

J’ai décidé, une fois mon roman terminé, de le diffuser sur Internet à la manière d’un roman-feuilleton, au rythme de trois chapitres par semaine. J’ai utilisé les réseaux sociaux que sont Facebook, Twitter et Instagram pour acquérir un lectorat et informer les internautes de la sortie des chapitres. La conjugaison de ces deux éléments, id est l’utilisation de la sphère multimédia pour la diffusion de mon roman, m’a permis d’offrir une lecture immédiate, invitant à la réaction et à l’échange. Il ne s’agit plus du cloisonnement habituel écrivain/lecteur, entre lesquels tout échange devient difficile. Peut-être cette démarche s’inscrit-elle à nouveau dans cette volonté de refuser les codes et les genres pré-établis…

Quoi qu’il en soit, si mes attentes en terme de lectorat étaient initialement modestes – j’espérais atteindre 300 internautes à la fin de la diffusion de mon roman –, j’ai rapidement constaté que le nombre de lecteurs augmentait significativement à chaque publication de chapitre. Mon site compte, à l’heure actuelle, plus de 1 300 « utilisateurs ».
Réceptive aux demandes de mon lectorat virtuel, j’ai accepté, avec l’aide de mon mari, de publier Quand tu me prends dans tes bras, je vois la vie en Lila en version papier et Kindle, offrant ainsi une lecture plus traditionnelle.
Ces deux formats ont déjà été distribués à près de 600 lecteurs, ce malgré l’absence de mon roman dans les rayons des libraires, toujours réticents – mais qui pourrait leur en vouloir à l’heure actuelle ? – à accepter un livre auto-édité !

Je suis heureuse, et surprise, de constater qu’en quelques mois seulement, bientôt 2 000 lecteurs ont succombé au charme de Lila ! À n’en pas douter la proximité établie entre les lecteurs et moi-même contribue à favoriser le phénomène du bouche à oreille, unique vecteur de publicité utilisé dans ce cas précis !

Article paru dans la revue Genres le 25 décembre 2017.

 

Quand tu me prends dans tes bras, je vois la vie en Lila

Stéphanie Vidonne

www.mavieenlila.com

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Au format Kindle