Se faufiler dans ce récit, c’est entrer en amour. D’abord par tâtonnements sensibles, comme par peur de déranger, puis dans un élan qui peu à peu prend chair – jusqu’au suprême vertige, « dans le cœur, là où ça bat ».
C’est son cousin, il s’appelle Philippe, qui a « atteint la fantastique ivresse de la désobéissance » et « sait fabriquer des histoires avec ces petites introductions lentes, redoutables, pleines de questions dont il détient seul les réponses ». Encore garçonnet, il sait aussi que « l’amour élève tout ». Il a le « ventre haut » et « toute sa vie, il restera cambré dans la lumière » – elle « l’aurait bien vu matador », avec « son goût pour la brèche » : il « aurait dansé dans la poussière soulevée, éclatée par un jet de feu brûlant et mouillée à la fin par ses pleurs, à elle ».
Elle : la cousine, « la petite nièce », selon l’expression de « La Landaise » (étonnant et goûteux personnage !), mère de ce Philippe qui a du « mal à quitter les vagues », tant il aime le surf, et qui « fait ce qu’il veut », pieds nus, tel « un Indien dans la ville ».
Philippe a « la grâce innée dans chacun de ses gestes, chacun de ses sourires », il est comme « un animal de velours, soyeux et félin, libre dans sa nature et généreux ». Quand il entre dans une pièce, il devient « le centre » mais aussi « le rayon qui emmène à ce point », et « le cercle autour ».
Elle « le regarde venir dans ce sourire » qu’elle aime tant, il marche « léger et sans bagage, au travers des dernières vagues de la foule », sa main droite « retirant une mèche » de ses cheveux blonds « pour la balayer à l’arrière de l’oreille ».
Elle se tient immobile « en haut de l’émotion, muette et blanche ».
Or subitement Philippe disparaît dans le mystère d’« une île lointaine des Caraïbes ». Ne reste plus à « la petite nièce »/cousine qu’une photo prise sur place, avec des « bougainvilliers éclatants » et de « larges marches » qui « croisent l’espace et donnent, à l’ensemble, une allure d’escalier ».
Munie de ces maigres indications, elle arrive à Pointe-à-Pitre, « cherche la rue où a été prise la photo », alors que « l’air se vide avec lenteur, jusqu’au silence, aspiré, par la gouttière, le bruit de l’eau ». Peut-être parce que « sous l’effleurement des sables, toute peau parvient à l’amour », alors que « le soleil plonge ses bras sous l’écaille rougie des flots » et « caresse des doigts la mer Caraïbe ».
La « petite nièce » est venue chercher son « tête à tête avec Philippe » qui se cache « quelque part entre Grande-Terre et Basse-Terre », mais au fil de sa quête « la dérive n’en finit pas », elle va « tomber, profondément tomber », alors qu’il n’y a « plus d’hier, plus de futur ; l’instant est là, sur la plage, comme un coquillage à ramasser ».
Le temps « devient nageoire » qui « brasse et avance en ruisselant dans un bruit de cascade », le temps « presse et se déchaîne », alors que la petite nièce « agite les bras, pousse des cris, hurlant qu’il revienne ».
Revient-il en effet, ce temps en fuite ? Fait-il enfin « demi-tour » pour la petite nièce/cousine qui a « mal à l’endroit qui dort dans sa poche », sur le « papier glacé » de la photo de Philippe « d’où monte un chant si triste » ?
Philippe « était le plein et il était le vide, après, quand il partait et qu’il n’y avait que l’absence pour définir l’état des lieux sans lui ».
La petite nièce va-t-elle « s’effondrer, fléchir, ployer, céder et disparaître là où s’en vont les mots après leur discours » ?
Les vingt-cinq « tableaux » qui composent le livre d’Anne Fleury-Vacheyrout permettent progressivement de résoudre, ou du moins de visiter ces interrogations, faisant alterner les époques puis se rejoindre, jusqu’à ce que les « courroies de l’enfance tombent ; les os desserrent leurs joints ».
Je vous invite vraiment à découvrir, comme l’écrit Fred Forest dans sa préface, « l’invention poétique d’une écriture originale », des « personnages bien campés » – l’« enchantement ineffable » de l’émotion qui « dilate l’être ».
L’Adescendance, Anne Fleury-Vacheyrout, préface de Fred Forest, 5 Sens éditions, 13 euros.