Depuis quand a-t-il été question d’écologie pour ce qu’elle devrait incarner, à savoir le souci authentique de ce qui nous entoure et nous prête vie ? Buzz d’ego survoltés sur les réseaux sociaux, petites phrases toxiques (un comble) jetées en l’air pour la gloire, cocufiages et tartuferies politiques, actions « coup de poing » médiatiques : qui peut bien se reconnaître dans cette violence constante et criarde, alors qu’au contraire c’est une attitude humble, observatrice et poétiquement engagée qu’il faudrait adopter ?
Être écologiquement poétique, c’est se sentir l’invité temporaire d’un monde nourricier où tout s’équilibre en plein tournis. C’est le mettre lui au centre – se placer en périphérie, en attente d’être accueilli puis transfiguré. C’est regarder ; c’est écouter. Être enseigné.
Dans cette démarche qui inverse en quelque sorte la position humaine actuelle, glissons-nous entre les pages de La nature prisonnière, ouvrage publié par la belle maison Les Cahiers de l’Égaré, où le philosophe François Carrassan, le photographe Bernard Plossu et l’architecte Rudy Ricciotti nous font la grâce d’un « témoignage écolo-visuel » que tout un chacun devrait avoir lu. Ils s’arrêtent tous trois sur un moment du XXe siècle où la nature a commencé d’être traitée « comme une variable d’agrément de l’habitat urbain », c’est-à-dire : « falsifiée ». Le mot est fort, mais il n’est ni politique ni violent. De quelque angle que ce soit – la pensée, les lignes, l’image –, nous voyons bien à quel moment cette nature a été chosifiée au service de l’accroissement de la race humaine et de la nécessité d’en parquer les individus. De bétonnisation « sans esprit, sans caractère, sans vie » en création de zones où « on est n’importe où » à moins qu’« on s’y croie nulle part », l’arbre est devenu fantoche ; l’herbe une parodie. Aujourd’hui il est question de « poumons verts » urbains eux aussi enfermés dans la cage de maître-homme. L’accessoirisation de la nature a multiplié l’édification de cités baptisées idéales – naguère destinées à loger les « classes laborieuses, les ruraux exilés, les travailleurs immigrés » et devenues lieux de débats politiques insincères. Alors qu’en regardant les photographies de Plossu, c’est l’isolement de l’humain qui saute aux yeux. L’encorbeillement des solitudes. On voit des arbres grillagés, leur ombre plate ; des balcons aux feuillages enrubannés ; des touffes enrégimentées ; des niches à verdure ; de la végétation domestique. C’est sur pied ; cela vivote. En réalité c’est du ressentiment par paquets – la nature comprimée sous la dictature de notre extraordinaire orgueil.
Qu’avons-nous appris de cette « falsification » ? Et quel degré de conscience en possédons-nous ? Pour prolonger ce débat, je vous propose d’entrer dans La nature prisonnière – et, à l’instar de François Carrassan et de Rudy Ricciotti, d’écrire à votre tour ce que vous inspirent les images de Bernard Plossu. De vos mots, faisons notre beauté. Allez, allons, en route pour l’écologie poétique, nous avons tout à y gagner !
Martine Roffinella
Écrivaine-photographe ; prête-plume.