« Où sont les bourreaux où sont les victimes ? Je ne sais plus », écrit Pauline Hillier. Ce vacillement, je l’ai aussi éprouvé lors de mes interventions en maison d’arrêt (cf « Les hommes grillagés », H&O éd.). Mais là s’arrête la comparaison – car si Pauline Hillier évoque la prison, c’est parce qu’elle s’est retrouvée incarcérée à la Manouba, établissement pour femmes à Tunis. Alors membre du mouvement FEMEN, elle a été arrêtée lors d’une manifestation. Nous pourrions avoir affaire à un énième récit sur les conditions de détention en Tunisie, notoirement dégradantes. Mais l’angle de vue est ici bien plus novateur. La jeune femme nous embarque avec elle, nous pose sur son épaule telle une caméra et assez près de son cœur pour en enregistrer les tressaillements. Son écriture témoigne d’une poésie qui pétille dans le concret, connectée à l’instant sans renier la construction métaphorique. On lui a laissé son exemplaire des « Contemplations » de Victor Hugo qu’elle va truffer « en vrac » d’annotations sur ce qu’elle vit. 30 m2 où s’entassent 28 femmes. Hafida la « criminelle en col blanc », Samira l’institutrice, « la » Cabrane, cheffe de la cellule, Lina dite « Fuite », Saïda, ex-gardienne « tombée pour corruption », Fazia la « tueuse », Chafia l’insomniaque, la vieille Boutheina, « sombre, dangereuse, mais si attachante »… autant de « Contemplées » par l’autrice rebaptisée « Bolona » et « La Voyante », car elle sait lire les lignes de la main, ce qui lui attirera popularité et amitiés indicibles. Le livre offre plusieurs niveaux de perception : description factuelle des conditions de vie des détenues ; confrontation d’une jeune féministe française au modus vivendi des femmes tunisiennes ; découverte de la vraie sororité – cette façon, de chair et de sang, de nous importer dans la vie de femmes qui nous font grandir l’âme. À lire d’urgence, donc.
« Les Contemplées », de Pauline Hillier, est publié aux éd. La Manufacture de livres.
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