La quatrième de couverture nous prévient : dans ce livre, « tout y passe : l’amitié, l’amour, la fidélité, la littérature, la sexualité, la politique, la religion ». Les deux personnes de sexe opposé qui dialoguent – connues et « controversées » – sont « rarement d’accord ». Mais fi de toute trivialité ! Josyane Savigneau et Philippe Sollers nous partagent brillamment ici leur « violent désir de liberté ».
La vie est une « maladie sexuellement transmissible et à coup sûr mortelle », nous rappelle judicieusement Philippe Sollers – juste après que Josyane Savigneau lui a cité une « déclaration qui peut paraître comme très agressive », extraite de son livre Femmes (1983, éd. Gallimard) : « Le monde appartient aux femmes. C’est-à-dire à la mort. Là-dessus tout le monde ment. »
Le ton est donné, les deux « camarades de combat », qui ont en commun de détester le « mensonge social » et les « clichés » (bien que Sollers dise de Jo. S. qu’elle a « probablement des illusions sur l’animalité humaine en société »), entrent dans le vif de tous les sujets sans chercher à se flatter et encore moins à s’épargner.
« Croyez-vous au coup de foudre ? », demande Savigneau – alors que Sollers parle plutôt de « coup de nuit », car « on a de la foudre une perception tout à fait simpliste » (et ne comptez pas sur moi pour vous en dire plus : c’est page 15 du livre, N.D.R.). Mais il y croit, il en a d’ailleurs vécu « un certain nombre », qui se sont « transformés en amour durable, ou en amitié ». Pour lui, « il faut se mettre en face de la mort pour savoir ce qu’il en est de l’amour » – « l’amour se dessine comme étant une force antimortelle ».
Mais quand Josyane Savigneau l’interroge sur « l’amour fou », Sollers dit ne pas aimer « du tout la folie » et préférer « l’amour intelligent » – et la lectrice que je suis s’est beaucoup amusée de cette remarque à propos de sa « double vie » (ou plutôt « triple » voire « quadruple ») : « Pour un homme, zéro femme pourquoi pas ? Une femme seulement, c’est maman. Deux, c’est l’enfer. À trois la liberté commence. »
L’on se régalera aussi de la délicieuse joute entre les deux « camarades de combat » à propos de « l’athéisme sexuel » revendiqué par Sollers (« ça veut dire qu’on ne croit pas au sexe, sauf dans la façon dont ça deviendrait un savoir et non pas un exercice organique qui ne produit pas grand-chose dans le dire »).
Quant à Dieu, « spontanément » cité par Jo. S., il appelle la réponse « nature », « en suivant Spinoza : Deus sive natura (…). Vous me dites Dieu et immédiatement je me sens plongé dans une sensation très vive de la nature » – « Mais cette insistance sur la nature n’était-elle pas davantage un sentiment panthéiste que le propos de quelqu’un qui a la foi ? », souligne encore Jo. S. Et l’on se délecte du « catholicisme de sensations permanentes » propre à Sollers, de même que de ses propos sur la résurrection : « La résurrection, c’est maintenant, il n’y a pas besoin de mourir pour ça (…), c’est tout de suite, sinon c’est la paresse ».
Pour connaître la suite de cette Conversation infinie, par exemple à propos du Diable, qui est « le comble de la frigidité », ou du fait de vieillir – qui pour Sollers est « rajeunir », « se dépêtrer de plus en plus de ce qu’il y avait de sourdement vieux dans ce qui vous accompagne dès le début de la vie, à cause de la pression sociale gigantesque » –, il faut vous y plonger, car nous sommes tous et toutes invités à y participer.
Au-delà d’échanges sans censure et souvent décapants entre deux amis de longue date, ce livre est celui de la liberté de penser hors du consensus (out of the box, disent les jeunes !) – donc à mettre entre toutes les mains !
Quatre questions à Josyane Savigneau et Philippe Sollers
MARTINE ROFFINELLA : C’est une sorte de rituel sur ce Blog, je me permets toujours de demander quelle a été la genèse de l’ouvrage. Au-delà de ce que vous racontez en préambule sur la façon dont l’idée de ce livre est née, pourriez-vous nous expliquer comment le projet a pris corps ? Avez-vous bâti le plan général ensemble ? Ou séparément, en vous soumettant chacun vos idées ?
JOSYANE SAVIGNEAU : Pour chaque chapitre j’ai guidé la conversation. Mais après le premier jet, les éditeurs trouvaient que c’était trop une conversation sur l’œuvre de Sollers, donc j’ai fait des ajustements et on a refait des entretiens.
PHILIPPE SOLLERS : Nous avons d’abord envisagé différents thèmes, avec les éditeurs. Puis j’ai laissé Josyane Savigneau préparer les entretiens.
M. R. : Sur combien d’années s’étalent ces échanges ? Les thèmes ont-il évolué, au fur et à mesure du temps passé ? Y a-t-il par exemple des questions que vous n’abordiez pas voici dix ou quinze ans ? Si oui, lesquelles ?
Jo. S. : Tant que l’histoire d’amour entre Sollers et Dominique Rolin n’a pas été publique, on n’en parlait pas. Je crois que naguère nous parlions plus de politique qu’aujourd’hui. Mais on s’est pas mal opposés au moment de la dernière présidentielle car je croyais que Marine Le Pen pouvait gagner et Sollers se moquait de moi. Je dois avouer qu’il avait vu bien avant moi le jeu d’Émmanuel Macron « c’est moi ou le chaos Marine Le Pen », ce qu’on vient de voir au grand jour avec les élections européennes.
Ph. S. : C’est un moment d’une conversation qui dure depuis presque 30 ans.
M. R. : Au cours de ces « conversations », le ton est-il parfois monté entre vous, ou bien avez-vous toujours su éviter le piège de la susceptibilité ou de la fierté blessée ? Quels sont les sujets qui vous divisent le plus ? Et vous est-il arrivé, à l’une comme à l’autre, de changer d’avis à la suite de l’un de vos échanges ?
Jo. S. : Le sujet qui nous divise le plus est le rapport des hommes et des femmes aux enfants. Je ne dirai pas que Sollers m’a convaincue, mais j’ai eu du mal à réfuter les arguments qu’il développe dans le livre sur le sujet.
Ph. S. : Le ton monte rarement entre nous.
M. R. : Estimez-vous que le mode non consensuel pratiqué dans cette Conversation infinie est en quelque sorte actuellement menacé par l’autocensure (la fameuse « bien-pensance »), ou bien êtes-vous plutôt sereins quant à la pluralité des avis en principe autorisée par la liberté d’expression ?
Jo. S. et Ph. S. : Là nous pouvons répondre d’une seule voix. Oui. La bien-pensance a pignon sur rue. Les désirs de censure sont partout. Il faut résister à l’autocensure, mais dire ce qu’on pense ne garantit pas que ce soit imprimé.
Une conversation infinie, par Josyane Savigneau et Philippe Sollers, aux éditions Bayard, 17,90 euros.
Ces deux- là, s’ils n’existaient pas, il faudrait les inventer ! Encore faudrait-il avoir plus, ou au moins autant d’intelligence qu’eux.
Et ma liste de livres à acheter s’allonge, s’allonge…
En parfait accord avec ce commentaire !
cela donne une belle envie de le lire,
c’est un état des lieux de notre société aussi semble-t-il avec un regard à deux assez pointu
merci Martine