Créé durant l’été 2020 pour soutenir les auteur·e·s en ces temps de Covid-19, où nombre d’ouvrages ont perdu en visibilité, cet espace solidaire accueille aujourd’hui la talentueuse Claire Fourier pour : Sémaphore en mer d’Iroise.
Qui est Claire Fourier ?
Née dans le Finistère, Claire Fourier a été professeure de Lettres et bibliothécaire, un temps assistante de l’écrivain Henri Pollès, avant de devenir elle-même écrivaine et de remporter plusieurs prix littéraires. Elle a publié une vingtaine de romans et des recueils de poèmes aux éditions Actes Sud, du Seuil, de La Différence, Dialogues, Bartillat, Jean-Paul Rocher, du Canoë…
Présentation de Sémaphore en mer d’Iroise
« Je suis du Finistère. J’ai quitté le Finistère. Le Finistère ne m’a pas quittée. Ce n’est pas que le Finistère me tienne en laisse, au contraire : le Finistère est ma piste d’envol de tous les jours, que dis-je, de toutes les heures. Et il est ma brûlure, et il est mon onguent. Voilà le pays qui m’a vue naître (…) Voilà le pays que j’aurai devant les yeux quand ils se fermeront à jamais. »
D’une plume dont de grandes voix ont salué la « perfection classique », mais avec toujours une fantaisie assumée, nous indique la 4e de couverture, l’auteure déroule ici un inclassable livre d’heures qu’inspire sa terre mêlée d’embruns océaniques.
Cent courts chapitres qui disent avec brio le sens entrevu des choses et celui, obsédant, de l’écriture.
Ce qu’en dit l’auteure : Claire Fourier
Sémaphore en mer d’Iroise ? C’est la recherche du temps perdu, autrement dit, du paradis perdu. Car le seul paradis, c’est le temps. Donc il faut savoir « prendre » le temps, le retenir. N’ayant pas toujours su, j’ai essayé de le ressaisir sous la forme d’un livre d’heures. Cent heures, cent chapitres traversés par deux fils rouges : un paysage et la transmission.
Le paysage, c’est la côte nord du Finistère. Il y va, non du paysage marin de mon enfance objectivement décrit, mais d’un paysage-état d’âme – qui a forgé ma vision du monde et ma philosophie de la vie. Il y va d’une navigation intérieure qui renvoie à une problématique féminine vieille comme le monde : les pieds sur terre, le regard en mer ; le corps dans la réalité immédiate, le regard soucieux de ce qui peut advenir.
La transmission, c’est le fait des « fileuses de destin ». Aïeule, mère, fille, voyez-les ici s’affairer à la maison, au jardin, à la tâche, en promenade, à la lecture, à l’écriture. Écoutez leur voix (c’est la vôtre) ; elle dit, au gré de moments cueillis au vol, le quotidien, la relation à l’homme, la maternité, le regard sur ce qui va et vient. Ces moments révèlent un même besoin de lumière, de folie douce, de gai savoir.
Voici donc une grand-mère allègre et fantasque, une mère fragile et mélancolique, un père abrupt et têtu, et la narratrice, leur héritière, qui cherche son chemin entre l’inné et l’acquis, peinant à trouver un équilibre entre des forces contraires, une voie médiane entre l’éternel féminin et le féminisme.
Ces femmes vous invitent dans leur chambre ; elles y ont fait l’amour, elles y ont été chastes ; c’était selon les heures, les humeurs. Car il y a le matin, il y a le soir, les jours qui se suivent, ne se ressemblent pas ; ce sont les femmes qui se ressemblent, inquiètes et chantantes à la fois, la plus « libre » n’étant peut-être pas la plus libérée. C’est qu’il faut avoir beaucoup vécu, senti, pensé, avoir traversé l’épreuve du feu pour trouver le mot juste et transmettre un enseignement qui tienne la route.
La vie des femmes étant un tourbillon d’actes menus, un flux et un reflux d’émotions, de joies, de chagrins, le livre devait obéir à ce rythme oscillant et rendre fluide une succession d’instants.
C’est pourquoi, portée par une palpitation, l’écriture galope ou s’alanguit dans un flux verbal qui épouse le tremblement du temps au cours des cent chapitres comme autant de rafales au bout desquelles le vent d’ouest murmure toujours la même chose : l’âme féminine est un bateau ivre qui ne coule pas : parce qu’elle marie d’instinct sagesse et fantaisie, la femme sait donner sens et unité à l’errance et à l’éparpillement.
La structure du livre, qui aurait pu s’appeler Vagues, est calquée sur celle de Moby Dick, mon livre-culte, sur le mouvement de la marée et l’entrelacs. D’où le fondu-enchaîné des cent chapitres ; l’un entraîne l’autre, bien que chacun ait sa singularité. Tout se suit, rien ne se suit – comme les heures dans le temps continu.
Sont évoqués mon existence itinérante pendant trente ans et le besoin de logis où me poser et me sentir bien, les événements qui ont frappé ma jeunesse, notamment la rencontre à Tbilissi avec le cinéaste Paradjanov, mes amours littéraires et artistiques, Simone Weil, Virginia Woolf, Colette, Duras, Rosa Luxemburg, Musil, Proust, Montherlant, Bernard Noël à mots voilés, Debussy, Matisse, les « jeûneurs fous » de l’écriture et les femmes que j’appelle les suicidées de l’écriture ou mes grandes sœurs… Sont évoquées mes amours humaines, heureuses et malheureuses…
Appelant une lecture buissonnière, c’est une longue lettre fragmentée au lecteur, nourrie par ce qui demeure de mon éducation, de mes choix, mes doutes, mes deuils, mes petites victoires et mes grandes erreurs (et l’inverse) – par tout ce qui fait la vie d’une femme.
C’est un monologue, inspiré du « courant de conscience » cher à Joyce et à Virginia Woolf, pour dire la raison et la déraison d’une femme qui ressemble à toutes les femmes.
C’est un jeu de marelle, laquelle est un jeu sautillant avec l’au-delà. Colette Lambrichs a illustré avec justesse la couverture avec un tableau intitulé Vertige, qui représente, au sommet d’un rocher, une petite silhouette noire, pensive et près de basculer dans la mer.
Danse au-dessus de l’abîme, mais recherche du bonheur malgré tout, c’est un livre tonique et drôle. Qui marie tendresse et dérision. Qui traduit le besoin de s’enchanter même sur fond de désenchantement.
Un livre surréaliste, au sens étymologique : qui, non content de dire le rêve ou la réalité, essaie d’injecter du rêve dans la réalité pour la rendre supportable et plus belle – en faire une réalité supérieure.
Livre-testament, parole intime qui avoue en douceur un secret, Sémaphore en mer d’Iroise est somme toute un livre de raison lyrique et féminine, qui, en bousculant le temps, reconnaît la vertu de ce que Quignard a nommé le « jadis » : la réserve d’avenir que contient le passé.
La petite-fille ressent que la modernité se goûte sur fond de fidélité à la tradition. Klaoda renaît par Anna revisitée. La plus jeune s’affermit dans la pensée de l’aînée.
Ancien = tremplin pour demain.
Sémaphore en mer d’Iroise, par Claire Fourier, aux éditions Locus Solus, 19 euros.
Autres actualités littéraires de l’auteure
- Contribution à l’ouvrage Le Sel de la Bretagne, aux éditions Les Presses de la Cité.
- C’est de fatigue que se ferment les yeux des femmes, paru aux éditions Bartillat, est de nouveau disponible.
- Métro Ciel, qui fit connaître Claire Fourier (et dont Régine Deforges dit, en 1996, qu’elle aurait « aimé écrire ce livre »), bénéficie d’une nouvelle vie aux éditions du Canoë.
Finis Terrae, lointain de mon enfance … Je m’en vais sans délai commander « Sémaphore en mer d’Iroise » (j’avais adoré « Tombeau pour Damiens »). Merci Martine Roffinella, bravo Claire Fourier et vive la Bretagne !
Merci chère Félicie ! Claire Fourier est une grande écrivaine – je le dis comme je le pense ! J’ai aussi beaucoup aimé son « Dieu m’étonnera toujours » – un bijou, que j’ai lu deux fois. Vive la littérature ! Et comme tu l’écris si bien : Vive la Bretagne !
Merci, chère Félicie Dubois. J’espère que vous vous trouverez en terra cognita dans Sémaphore en mer d’Iroise. Je vous imaginerai lisant. Claire