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A-t-on tué Zola ? Jean-Paul Delfino débusque les Assassins !

Mort en septembre 1902 par asphyxie déclarée accidentelle, « l’homme de l’affaire Dreyfus » avait été la cible d’un « déferlement d’abjections », dans une France où nombre de voix proclament la « nécessité de couper les testicules de tous les Juifs et de Zola, afin qu’ils ne se reproduisent pas ». Delfino enquête – et offre un stupéfiant miroir à notre époque.

C’est peu dire que le livre de Jean-Paul Delfino m’a étonnée à de multiples reprises.
Avais-je oublié la façon dont Émile Zola est mort ? Oui pour sûr – je ne vais pas mentir.
Dès les premières pages, j’ai donc été littéralement aspirée par l’intrigue, qui mêle très astucieusement le récit de la vie de l’écrivain et la peinture d’une époque inouïe, où l’antisémitisme est une sorte de fierté affichée.

Il y a bien sûr Édouard Drumont et la Ligue antisémitique de France, mais aussi Charles Maurras, Maurice Barrès, Jules Barbey d’Aurevilly, André de Boisandré et son « ignoble Petit catéchisme antijuif », Léon Daudet, « rejeton du grand poète » – ainsi que tous les « bons Français », issus de « toutes les couches de la société », du voyageur de commerce à l’avocat, en passant par l’étudiant, l’ouvrier, l’ingénieur, le journaliste…

Entre autres « perles » totalement assumées : « Il faut loger les Juifs dans les tinettes (…), leur administrer des lavements au vitriol, leur couper les jambes, leur crever les yeux, leur fumer les jambons (…), leur raboter le nez (…), les passer à l’huile bouillante ou à la chaudière, les convertir en hâchis (…), les donner à dévorer aux chiens, les incinérer, les rôtir, les farcir, les flamber avec de la paille, les écraser entre le marteau et l’enclume (…), faire du parchemin avec leur peau », etc.

Nous sommes à la fin du 19ème et au tout début du 20ème siècle !
« On va taper dur, le jour de la Saint-Barthélemy des Juifs ! » est-il déclaré sans vergogne. « Honte à la teigneuse descendance de Judas et de Barabbas qui infecte la France ! »

L’Île du Diable, en Guyane, où Dreyfus a été maintenu prisonnier (coll. personnelle).

Émile Zola, sur son lit qu’il n’imagine pas encore de mort, voit défiler, en même temps que sa vie, toute la violence d’une époque (dont certains sont pourtant aujourd’hui nostalgiques !), comme en témoigne cette Marseillaise antijuive :

« Y’a trop longtemps qu’nous sommes dans la misère
Chassons l’étranger
Ça f’ra travailler
Ce qu’il nous faut, c’est un meilleur salaire
Chassons du pays
Tout’cette bande de Youddis ! »

Au jour de sa disparition, Zola, âgé de soixante-deux ans, a « transformé en or le plomb qui coulait dans son crâne » : il a été « président de la Société des gens de lettres », les tirages de Germinal, de Nana ou de L’Assommoir se sont avérés « colossaux », il a « tout réussi ». Du moins « presque tout », car l’Académie française l’a « méprisé » – ce qui ne l’a pas empêché de faire graver cette maxime sur son fauteuil : « Si Dieu veut, je veux. »

Le « petit Italien d’Aix-en-Provence » (avec son cours Mirabeau « qui, depuis deux cents ans, s’imagine être les Champs-Élysées de la Provence »), le « fils chétif » qui, « à sept ans, ne sait ni lire ni écrire », a un « défaut de langue » et « très tôt des problèmes de vue » – lui le « macaroni », le « pauvre » qui « sentait l’ail », le « fils du raté », le « rejeton » de sa « moitié-folle » de mère, a « apporté son écot à l’humanité » : une œuvre de « vingt tomes » (sans compter les pièces de théâtre, les nouvelles et les milliers d’articles qui ont « filé sous sa plume »), riche de « mille deux cents personnages », et « au moins dix mille pages pour une Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire.

Sans encore savoir que cette nuit est sa dernière, l’écrivain examine mentalement les différentes étapes de son existence, publiques ou privées, ce qui nous permet d’ajuster les éléments du puzzle de ces années-là. Côté vie amoureuse, nous nous familiarisons ainsi avec Madame Zola, Alexandrine dite « Coco dans l’intimité », qui lorsque Cézanne la lui présenta, était une « fille de la rue, une grisette » posant pour des « barbouilleurs maudits ou sans talent ». Ils s’étaient aimés, mais « la nourriture de plus en plus riche » au fil des succès des livres de Zola « avait transformé la sylphide en mégère » – selon l’écrivain qui aura une double vie avec Jeanne, une lingère de vingt-sept ans de moins que lui, qui lui donnera deux enfants nés du « goût délicieux du péché et de l’interdit » : Denise et Jacques.

Le dernier appartement aixois où vécut Zola, avant de partir pour Paris (coll. personnelle).

Somme toute, examinant le bilan de sa vie, le « grand homme » s’estime être « le plus heureux du monde » – sauf que plus la nuit avance, plus il commence à se sentir mal. D’abord une simple nausée, puis des difficultés à respirer… Alexandrine aussi est prise de malaises et de vomissements.
Mais ce n’est sans doute rien, un aliment avarié, ça va passer.
Jusqu’au moment où Zola comprend qu’il est en train de mourir.
« Quelqu’un » a voulu sa mort – « Mais qui ? », et pourquoi ? – « il n’abdiquerait pas sans avoir répondu à ces deux questions ».

Et c’est bien sûr à ce moment de l’ouvrage que Delfino nous retient le mieux en haleine – car la liste des « suspects » est pour le moins captivante – avec cette question lancinante : Zola a-t-il été, à ce moment-là, en quelque sorte résumé à « l’homme de l’affaire Dreyfus » ?

Si oui, son assassinat ne fait aucun doute : mais alors, qui avait intérêt à le faire passer pour un accident – une intoxication au gaz méphitique ?

Hé hé, je ne vous en dirai pas plus ! Pour vous forger votre propre opinion, je vous invite à lire le très pertinent roman de Jean-Paul Delfino, qui, signalons-le en passant, a bénéficié d’une bourse d’écriture décernée par le Centre national du livre pour le mener à bien.
Excellent choix s’il en est !

DR. Ouarda Silly.

Quatre questions à Jean-Paul Delfino

MARTINE ROFFINELLA : Comment vous est venue l’idée de vous intéresser à la mort « accidentelle » de Zola ? La question vous taraudait-elle depuis longtemps, ou bien s’est-il produit un déclic qui vous a aussitôt poussé à creuser ce sujet ?

JEAN-PAUL DELFINO : Deux raisons fondamentales poussent à l’écriture. Ou bien l’on part sur les traces de la chose à dire, ou bien celle-ci vous saisit à la gorge et vous pousse à passer d’une à deux années dans l’écriture. Dans le second cas, elle ne vous lâche pas. Pas avant la dernière goutte d’encre, en tout cas.

Pour Assassins !, la chose s’est faite en deux étapes. Tout d’abord, lorsque l’on m’a offert, à douze ou treize ans, un exemplaire de Germinal. Mon grand-père maternel était mineur de fond. Subitement, en lisant Zola, j’ai commencé à comprendre ce qu’était la littérature. La littérature en action, tout comme Cendrars parlait de poésie en action. Dans ces pages, il y avait toute mon enfance. Ce n’était ni rébarbatif, ni à mille lieues de mon quotidien. C’était mon monde qui s’étalait avec violence sur ces pages. Voilà à quoi servait la littérature. Ça n’était pas une chose morte, mais bien un cri gorgé de sève et de fureur.

L’autre étape est étonnante. Avant de commencer la rédaction du roman, j’ai vu que des bus emplis de touristes s’arrêtaient tous les samedis, en bas de chez moi. La façade de mon immeuble ne possède rien de rare. Et, pourtant, les touristes mitraillaient celle-ci avec une fureur et un respect qui m’ont étonné. Renseignements pris, j’ai dû me rendre à l’évidence. J’habite chez Zola. En bas du Cours Mirabeau, à Aix-en-Provence, la moitié de mon séjour est la dernière chambre de bonne où Zola, sa mère et le père de celle-ci ont séjourné avant de partir pour Paris.

M. R. : De quelle façon avez-vous procédé pour mener à bien cette enquête, notamment concernant la documentation qui vous a été nécessaire ? Selon quelle méthode de travail ? Avec quelles aides éventuelles ?

 J.-Paul D. :  Mille grâces soient rendues à la Bibliothèque Nationale de France ! Durant un an et demi, je suis resté plongé, via le site Gallica, dans la presse française, de 1890 à 1905. Presse nationale et presse régionale, bien entendu. Mais aussi, bulletins paroissiaux, municipaux, sportifs. Revues plus légères, journaux intimes des plus divers. J’ai redécouvert des ouvrages écrits par des proches de Zola et qui, aujourd’hui, ne sont plus réédités.

Lorsque l’on cherche, l’on finit par trouver. Toutes les informations rapportées dans Assassins ! sont exactes, vérifiées, analysées, décortiquées. Pour celles et ceux qui sont, peu ou prou, passés à la postérité, la chose est relativement aisée. Pour les autres, les obscurs, les porte-flingues, les bras armés, les militants de l’ombre, il faut parfois batailler des semaines entières. Mais l’on finit par trouver. Toujours. Le journaliste Bedel, en 1953, a exhumé le nom de Buronfosse, le fumiste qui a bouché la cheminée de Zola. J’ai voulu savoir, pour ma part, qui avait donné les ordres. J’ai trouvé.

M. R. : Au-delà de l’histoire même de Zola, avez-vous eu en tête de placer son époque en miroir de la nôtre, par exemple à propos de l’antisémitisme et du rejet des étrangers ? En tant qu’écrivain, quel regard portez-vous, justement, sur cette frappante récurrence ?

 J.-Paul D. :  Je ne suis qu’un raconteur d’histoires, un littérateur qui livre, bien immodestement, sa vision du monde dans l’espoir qu’elle pourra intéresser le lecteur. Hélas, cette histoire précise se situe dans une France que j’aurais préféré ne jamais connaître. Je la savais, certes. Mais je ne la connaissais pas. On est bien loin du siècle des Lumières. On est dans les poubelles de l’Histoire.

Donc, oui. Lorsque les premiers articles sont sortis sur Assassins !, j’ai été navré et ravi tout à la fois de constater qu’ils s’achevaient tous par une mise en parallèle de notre société d’aujourd’hui avec celle d’Assassins ! Repli identitaire, peur de l’étranger, terreur vis-à-vis du migrant, angoisse du lendemain, pauvreté endémique, théories délirantes, journalistes et littérateurs populistes – pour rester poli. Sans parler de la bête immonde, la vague de l’antisémitisme. À la façon d’un océan dévastateur, cette vague érode notre clairvoyance et, à la septième, elle se dresse, s’arc-boute et finit par emporter toute raison sur son passage.

M. R. : Pour mener à bien l’écriture de cet ouvrage, vous avez bénéficié d’une bourse du Centre national du livre. Mis à part l’aspect financier, quelle sorte de liberté cette aide vous a-t-elle octroyée ? Qu’aurait été le livre – ou plutôt votre travail à son sujet – sans ce soutien ?

 J.-Paul D. :  Sans l’aide du CNL, ce livre aurait existé. Parfaitement le même, à la virgule près. Mais il serait sans doute sorti dans un, deux ou trois ans. Parce que les auteurs, chose que l’on oublie souvent, mangent trois fois par jour, paient des factures, remboursent des crédits. Ce ne sont pas de purs esprits ! Avant cette bourse, j’étais sur le point d’aller demander de l’aide auprès des administrations compétentes et de passer à la CMU. En d’autres termes, la bourse du CNL ne donne aucune inspiration. Elle permet à celle-ci d’éclore, de se développer. Sans que l’on ait à craindre les coups de sonnette rageurs des huissiers.

 

Assassins ! un roman de Jean-Paul Delfino, publié aux Éditions Héloïse d’Ormesson, 18 euros.

Jean-Paul Delfino sur Facebook

Courriel : jean-paul.delfino@wanadoo.fr

Page Facebook des Éditions Héloïse d’Ormesson.

 

 

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3 commentaires sur “A-t-on tué Zola ? Jean-Paul Delfino débusque les Assassins !”

  1. Je suis venue sur cette page après avoir vu l’émission de Druker et la confirmation sur les pages de Berre .Je vais acheter avant qu’il y ait une rupture

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