Grâce soit rendue au sieur Jean-Luc Allouche de m’avoir déridée avec son truculent roman, à saisir au vol par ces temps lourds de frustration et d’anxiété ! Cette renversante histoire, dans ce qui est aujourd’hui nommé la « France périphérique », ne manque ni de souffle ni de soufre !
Tout commence par une bien curieuse nouvelle : Gaston Truchot, ancien maire d’un village bourguignon de 865 inscrits, est retrouvé pendu dans sa grange, « au bout d’une corde accrochée à une poutre », vêtu de son pyjama et les « pantoufles encore aux pieds ». Il s’est suicidé, laissant un mot « à l’intérieur d’un paquet de Gitanes » : « Tout ça, c’est la faute à leurs foutues éoliennes… »
Que s’est-il donc passé dans cette petite commune rurale où « les Truchot, les Dugroin, les Favart, les Noisetier et autres Goulard », formant « l’aristrocratie paysane du canton » (et occupant « les caveaux les plus orgueilleux de la partie noble du cimetière »), côtoient (depuis la « transformation de terres agricoles en lots constructibles ») les nouvelles familles « échappées des HLM-ghettos de la ville voisine » (ou plutôt : « des quartiers dits « sensibles », le vocable imposé par la novlangue récurée ») ?
À l’instar de nombre de communes « oubliées, délaissées, voire méprisées par les grandes métroples », les « effectifs » de la « corporation agricole » se sont réduits à peau de chagrin, il n’en reste que six sur la vingtaine d’autrefois.
Les habitants ne sont ni « tout à fait prospères, ni tout à fait déshérités », pourtant pas très éloignés de la capitale mais « à des années-lumière » de ce qui s’y passe – certains n’ont jamais mis les pieds à Paris.
Alors en dehors du pendu Gaston Truchot (dit « la Grosse Tronche »), ex-maire et notable du village suspecté en son temps de « tripatouillages », de « magouilles » voire de « délits caractérisés » en matière de POS (Plan d’occupation des sols), à qui avons-nous affaire ?
Le maire actuel, Hubert Champetier, « blanchi sous le harnois de la Fonction publique », use d’une « dialectique affûtée dans sa jeunesse par la fréquentation assidue de l’extrême gauche », même si « de rouge, il est passé à rose pâle ».
Nous rencontrons aussi l’inénarrable Liliane Boivin, « sexagénaire menue mais alerte », qui est « la cheville ouvrière de la paroisse et la pourvoyeuse en chef de tous les ragots de la commune », ainsi que sa « commère », Marie-Thérèse Ruffard-Drouin, « rombière couperosée par l’abus de petits verres de ratafia ».
Nous croisons Ernest Meulemans, « le quincaillier dont la boutique a fermé dans les années 90 », et son compagnon de chasse, le menuisier Fernand Favart, lequel introduit l’un des personnages les plus hilarants du roman : le fameux Kevin Marchandeau et sa « coiffure à la pompadour gonflée au gel », trentenaire d’époque qui dispose du « lexique adéquat » (« ils ne nous calculent pas » ; « en mode “tout pour ma gueule” », etc.).
Fatalement, nous tombons sur l’inévitable « résident secondaire de Paris », surnommé « 7-5 », qui « s’enflamme, s’exalte, et ponctue souvent ses péroraisons par un sonore Dixi et salvavi animam meam ! » (se reporter à la drôlissime Note de l’éditeur, page 28), et sur l’indispensable « écologiste convaincue » Adèle Roquette. Il y a aussi Manolo dit « l’Espingoin », un « traîne-savate qui vit du RSA et de quelques bricolages au noir », Marcel Bouguereau, dit « Marcel le Sachem », « l’un des derniers survivants de 39-45 », croix de guerre et « par ailleurs gai luron jamais en peine de lutiner »… et surtout le meilleur vieil ennemi du « pendu » : Guy Coulard – ensemble ils forment le duo des « Gé-Gé », « rivaux irréductibles » comme l’ont été « leurs clans depuis des générations ».
Impossible de citer tout le monde : les figures plus vraies que nature (je le confirme pour avoir longtemps habité dans un village de Bourgogne), aux savoureuses saillies, jalonnent ce roman dont chaque page se déguste comme une gourmandise acidulée.
Mais que peut-il bien s’être passé de tellement important dans cette petite commune de moins de 1 000 âmes ?
Un certain William Lamarque, commercial employé de la société d’éoliennes À tous vents-Atout Vent (dont la maison mère Gross-Power est basée à Osnabrück en Allemagne), propose une implantation d’éoliennes, car « il se trouve qu’un maillage cartographique » a permis de repérer « un corridor venteux favorable » sur les « hautes terres » du village – « Je vous apporte au moins 300.000 euros », annonce Lamarque.
Aussitôt la nouvelle de ce projet, qui n’est pas encore discuté officiellement, se répand : « Les mamans craignent pour la santé de leurs bambins. Les retraités s’inquiètent pour la valeur de leur bien. Les chasseurs pour leur gibier. Les défenseurs de l’écosystème pour la santé des petits oiseaux » – « bref, la guerre menace à bas bruit ».
L’affaire est soumise au vote du conseil municipal – s’agissant, dans un premier temps, d’un simple projet d’implantation d’un seul mât d’éolienne « expérimental ».
Résultat après dépouillement : sur 15 bulletins, 12 pour, deux abstentions et un contre.
Le feu est ainsi mis aux poudres, une pétition circule d’abord :
« Qui sème le vent
récolte des
CACAHOUÈTES !!!!
Non aux profiteurs, aux technocrates
et aux incompétents !!!! »
Les multiples et possibles nuisances imputées aux éoliennes sont listées (« patrimoine paysager saccagé », « pollution sonore sur un rayon de 2 km », « baisse de la valeur immobilière », sans parler du « massacre » des « migrateurs et rapaces » et des écrans de télévision brouillés, etc.) – tandis que parallèlement, « aucun emploi ne sera créé » et il faudra de toute façon « continuer à utiliser les centrales thermiques », puisqu’une éolienne « ne fonctionne qu’à 25-30 % du temps ».
En conséquence de quoi les habitants sont tous appelés à demander aux élus de « revenir sur leur décision ».
« Opposez-vous à cette aventure ruineuse », leur est-il fortement recommandé. Pour le « bien-être », « la santé », et bien sûr : « l’avenir de nos enfants ».
Alors quel sera le dénouement pour ces « foutues éoliennes » et en quoi ces dernières provoqueront-elles le suicide de l’ex-maire Gaston Truchot dit « la Grosse Tronche » ?
S’agira-t-il, pour la population qui n’est ni illettrée ni arriérée, de faire « un immense bras d’honneur aux puissants, aux élites mondialisées » ?
Précipitez-vous sur le roman de Jean-Luc Allouche, et non seulement vous connaîtrez le fin mot de l’histoire, mais vous y décrypterez le monde des « laissés-pour-compte, des abandonnés de la prospérité » – cette fameuse « France périphérique » qui n’a pas sa langue dans sa poche et que, foi d’Éole, les politiques seraient bien avisés d’écouter !
Foutues éoliennes ! roman de Jean-Luc Allouche, publié chez H&O éditions, 17 euros.
Sous la plume de Martine, délivrée de son pavé, cette fresque relatée apparaît truculente, pittoresque et cocasse. Le plus amusant est que je suis Bourguignon, je vis entre Auxerre et Chablis dans un village viticole de 360 âmes (mais ne suis pas viticulteur). Un windfarm (une ferme de vent) nommé par ailleurs « parc éolien » encercle nos coteaux de vignes de 25 longs cous couronnés de palmes qui taquinent les nuages. Dans son livre « Ce bel et vivace aujourd’hui », mon voisin Jacques Lacarrière, ( à 20 km) de chez moi, écrivait à propos des éoliennes : » des abeilles mécaniques qui butinent le vent et distillent une énergie qu’on nomme douce. Comme le miel. » Pour être honnête, autour de chez nous elles sont silencieuses. Juste cependant un peu trop présentes dans le paysage, nous veillant comme des OVNIS éclairés le soir à l’horizon. Laissons alors la fiction véritable de ses personnages à cet auteur dont l’humour aspire à le lire. Rire et aimer pour chasser la grisaille !