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Une magie humaine signée Paul Minthe

Un temps éditrice d’une maison quittée depuis, je reçus La Promesse de Samothrace. Le comédien Paul Minthe y écrivait : « J’aime le western qui n’existe pas. La fiction. Je suis acteur. J’ai 60 ans » – puis « Soudain, j’ai le cancer ». Pas n’importe lequel. « Entre les deux yeux – One shot between the eyes. »

C’est l’éditrice Colette Lambrichs (venue d’ailleurs sur ce blog pour partager son incroyable itinéraire dans le monde de l’édition) qui un jour me fit passer le tapuscrit de l’acteur Paul Minthe et me mit en rapport avec ce dernier.

Dès les premières pages lues, je fus captée par l’écriture de Paul et par la façon incroyablement originale avec laquelle il abordait un thème hélas courant : l’arrivée tonitruante du cancer dans une vie.

Il ne s’agissait en aucun cas d’un témoignage circonstancié sur le combat engagé contre la maladie et les moyens mis en œuvre pour survivre.

Non. Dans ce tapuscrit il était question de western, de théâtre, de fiction, de l’oncologue Lady Samothrace, d’humour gracile et de poésie – le contraire de la terreur en somme, ou alors toutes les armes non violentes pour la terrasser.

Photo du manuscrit : ©MartineRoffinella.

« Les Apaches sont immortels. Je rêve qu’ils envahissent la place de la Concorde et boum… l’aide-soignante surgit. Cinq heures du matin. « Monsieur ! Douleur de 1 à 5 ? » Tension, pouls. « Donnez bras ! 9.2, basse, mais normal la nuit ; 72, pouls très bien » – « Geronimo dans son lit d’hôpital n’a pas bougé. Ni la force ni le temps (…). C’est délicieux mais difficile d’être un Apache immortel. »

Aussitôt séduite, à la fois par l’écriture et par la façon inhabituelle de mener le récit, je fis part de mon enthousiasme à Paul Minthe – jusqu’à ce que survienne un coup de massue : le refus net et catégorique du dirigeant de la maison d’édition qui m’employait de publier le texte.

Abasourdie, mais persuadée de la très grande qualité du tapuscrit, je décidai alors d’aider Paul à le faire paraître chez un autre éditeur.

Et c’est ainsi que La Promesse de Samothrace a trouvé en Muriel Troadec, qui dirige la pétillante maison Les Lettres Mouchetées, sa meilleure alliée.

J’ai donc invité ici ces deux belles personnes, afin qu’elles nous racontent leur vécu avec ce récit coup de cœur.

Paul Minthe avec son style inimitable ; puis Muriel Troadec avec son tempérament passionné.


La parole à Paul Minthe

Photo : coll. personnelle de Paul Minthe.

Trois mots jalonnent mon parcours : les histoires, le jeu d’acteur, la littérature.

Ça vient de loin.
Enfant, ma mère me racontait des histoires pour que je m’endorme, sa façon à elle de me chérir aussi, puis ce fut mon grand-père.
Grand-père Apé était sacré pour moi.

Puis la littérature prit le relais.
À commencer par Mickey, Tintin, puis Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson [Selma Lagerlöf] et sa bande d’oies sauvages à travers la Suède, Le Club des cinq [Enid Blyton],Va comme le vent ou les aventures d’un jeune cavalier mongol [Gine Victor Leclercq], les descendants de Gengis Khan, Mon amie Flicka [Mary O’Hara], le mustang sauvage, D’Artagnan…

Au lycée, j’aimais le français sans être érudit.

J’aimais les professeurs qui nous transmettaient le goût des belles lettres, de la poésie… bercé par l’imaginaire, la fiction.

Comme je descendais des fleuves impassibles
J
e ne me sentis plus guidé par les haleurs
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs

Allez comprendreça chante, ça roule, c’est infini.
J’écrivais des poèmes de cancre à mes fiancées…
Cela suffisait à me nourrir.

Les années passent et je deviens acteur.

Je joue le rôle de personnages qui me rendent plus fort.
Je suis tour à tour le roi du Danemark, un tyran d’Écosse avare ou le Sganarelle de Molière : mes gages, mes gages…

Photo : coll. personnelle de Paul Minthe.

Je lis des mots de Faulkner : l’écriture c’est quand rien rien rien d’autre ne peut vous sauver.
C’est fantastique, je me dis : presque mourir pour vivre, c’est beau !
Mais je suis encore trop jeune, non pas tout de suite, pas tout de suite, dommage.
Je commence à jouer, j’attends la sonnerie du téléphone, la proposition d’un rôle.
Je flirte avec Proust, difficile Proust, Joyce impossible, je découvre Malcom Lowry, il a réécrit son roman plusieurs fois (incendie perte) ! Moby Dick [Herman Melville], Hugo, Sartre. Ah Sartre !
Pour les rôles, je pense à Macbeth…
Demain, puis demain, puis demain glisse à petits pas de jour en jour… la vie n’est qu’une ombre qui passe…
Je me souviens du Rien rien rien de Faulkner.

Photo : coll. personnelle de Paul Minthe.

J’écrivotte des pièces.

Ko-boy – le type s’appelle Jean Vinaigre, il préfère qu’on l’appelle Djo Vinegar.
Beau comme Brando :  on se regarde dans la glace, on se trouve beau, on est confiant et puis l’image s’efface, on n’est plus que soi et tout s’écroule.

Et arrive le cauchemar, une maladie.

Le chaos, une bombe, un terrorisme intérieur.
Je me sens condamné, puis coupable.
Coupable d’avoir laissé germer en moi cette horreur au lieu de créer, de réaliser, d’écrire.
Coupable de n’être que la cigale.
J’ai froid.
Mon drame : des nodules dans les sinus qui ont déjà attaqué l’os frontal.
C… du sinus ! non mais franchement vous y croyez, je vais parfaitement bien ! Si si !
Et alors je pense et sérieusement : une balle entre les yeux, c’est le western, la fiction qui me rattrape.

Indiens Crow, par David F Barry. Source.

La fiction me tue ?

Alors je me mets à écrire comme l’autre qui disait rien rien rien … tu y es ! Welcome, à toi de jouer.
Et voici comment arrive ce premier roman qui ne sera pas le dernier.
Le prochain s’intitulera Luc Ardan.
Au menu : toujours l’identité. La fiction qui soutient le réel.


La parole à Muriel Troadec, fondatrice des Éditions Les Lettres Mouchetées

Coll. personnelle de Muriel Troadec.

 

Logo des éditions ©LesLettresMouchetées.

 

 

C’est chez vous Martine que le manuscrit de Paul Minthe a transité avant d’atterrir dans ma messagerie.
Colette Chevolleau, qui lit la plupart des textes qui nous arrivent, a également insisté pour que je le lise.

Outre le fait que Paul Minthe soit comédien, il se mettait à écrire, de quoi piquer ma curiosité.

La rose du poète. Coll. personnelle de Muriel Troadec.

Aussi, j’ai plongé dedans et je ne l’ai plus quitté.

L’histoire de Paul m’a bouleversée par sa sincérité sans artifices…, la maladie que l’on préfère ne pas nommer, je l’ai vécue à travers mon mari touché lui aussi par cette diablerie deux ans auparavant.
C’est dire que je ne pouvais pas passer à côté… son réalisme dépeint la situation au plus près.

Mais la force de Paul, c’est d’appliquer à ce réalisme une fiction romantique.

Et tout commence par le titre, un présage mystique qui nous ramène à l’Antiquité. Paul se représente son oncologue sous les traits de la déesse ailée, Niké, et la rebaptise Lady Samothrace.

À travers sa prose, son besoin impérieux de s’exprimer, Paul Minthe déjoue les codes de l’écriture et enchaîne sans transition fiction et réalité.

Sa façon à lui de tromper l’attente, de braver l’ennemi, d’occulter la douleur…

Et mine de rien, il aborde bien d’autres sujets que celui du mal qui le ronge, évoque, sans s’appesantir, les maux de notre temps, la faiblesse des hommes ou leur courage… sa propre histoire… un peu de la nôtre aussi…

Le Penseur Noir et l’Indien. Coll. personnelle de Muriel Troadec.

Lui qui ne se rêve qu’en héros, dévoile sa condition d’artiste, sa joie de vivre et ses doutes face à ce besoin constant d’amour et de reconnaissance.

Passionnée de westerns moi aussi depuis l’enfance, je l’ai suivi dans son délire. Son récit tient plus d’une chevauchée fantastique que d’une traversée du désert.
Blessé dans sa chair, il riposte et relève le défi.
Cloué sur son lit d’hôpital, il s’évade au galop, emporté par son imaginaire.

L’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905), une figure de héros…

Son écriture est un tourbillon tour à tour truculent, audacieux, percutant, tendre, nostalgique et poétique… et ce récit est à l’image du personnage, émouvant et terriblement attachant.

La promesse de Samothrace est une promesse de Victoire !

Photo ©RoffinellaMartine.
La Promesse de Samothrace, Paul Minthe, aux Éditions Les Lettres Mouchetées, 14 euros.
Contacts utiles & précieux :

leslettresmouchetees.com
ed.lettresmouchetees(arobase)gmail.com
Écrire à Muriel Troadec
Écrire à Paul Minthe

 

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2 commentaires sur “Une magie humaine signée Paul Minthe”

  1. Eh bien, je serai la première ! Quand j’ai eu le tapuscrit entre les mains – au titre de maillon de la chaîne ! – je me suis dit : cancer ? non ce n’est pas pour moi. Hypocondriaque, j’étais sûre d’en déclencher un – je ne regarde jamais les émissions médicales, j’ai tous les symptômes dans la minute. Mais Martine m’avait dit le plus grand bien de ce texte. Je l’ai lu d’une traite happée (Apé? je peux me le permettre ;)) par les mots de Paul qui courent plus vite que la tumeur. Toutes les promesses sont tenues et j’ai pu annuler mon rendez-vous préventif chez le médecin, en fin de lecture, pour « harceler » Muriel afin qu’une publication puisse se faire.
    J’ajoute que Paul est une personne délicieuse et que d’autres histoires se cachent sous son chapeau d’artiste. Je finis, je finis avec ce court extrait, si doux, si tendre et qui montre la nature de cet homme délicat :
    « J’aimerais être tout, comme je murmurais enfant sur les genoux de ma mère, alors qu’elle me demandait pourquoi j’avais des punitions ?
    — Demain, maman, je serai tout, tu m’aimeras partout.
    — Tu es tout, tout le temps, mon fils adoré ! »

  2. Cette promesse est une victoire, la littérature a gagné ! Une bonne fée s’est penchée sur le manuscrit de Paul Minthe (la fée Colette 🙂 !)

    La Victoire de Samothrace est une œuvre sans auteur – La Promesse de Samothrace nous présente un auteur que l’on a envie de lire.
    Envie de lire l’authenticité et la sincérité d’un être qui semble également plein d’élan et de vitalité, à l’image de la statue grecque !

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