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Urgence Guillevic

Les cris percent et se déploient.
Jeunes comme vieux ils hurlent à pleine gorge. Ils beuglent pour clouter leur existence. La hérisser violemment. Partout dans la ville ils boivent de la bière en marchant. Ils vocifèrent lorsqu’elle les imbibe jusqu’aux yeux. Sous leur crâne leurs pensées forment de petits cercueils. D’où les cris. Est-ce le signe sonore de l’appartenance à un clan ? S’agit-il de se jauger entre coqs hurlants ? Dès qu’ils s’aperçoivent ils braillent. S’insultent en bavant de la mousse. Ils pensent imiter des codes tribaux. Ils saturent la rue de leur musique hachée jusqu’à bander de haine. C’est le viol du silence. Ils en déchirent l’hymen. Ils en ruinent les chairs. Ils s’enfoncent et défoncent. En jouissant ils s’égosillent tandis que la poésie gît dépecée. Ils rotent sur son cadavre. C’est du bruit à mort.  

Blessée, éreintée, je vais à Guillevic. C’est mon secours. J’y débouche la tête en feu.  

De toute façon,
Pourquoi

Ce goût de meurtre
Inscrit sur l’horizon[1] ?   

Guillevic, ma boîte à discrétions, mon antre à chuchotements, ma réserve de non-dits, ma bonbonnière de cris devenus pages, de rages devenues regards. Guillevic, ma transmutation, ma transfiguration.  

Puisque tu sais
Que tu peux crier,

Aussi bien
Sourire[2].  

Guillevic, mon troubadour du détail, mon aimanteur du minuscule, mon fabricant d’odeurs tactiles, mon éveilleur de sons goûtus. Un souffle gourmand et me voilà libre et guérie.

Écoute : le pollen des rochers,
L’abri au fond de la mer.

C’est ta paume qui s’épanouit,
C’est la peau de tes seins
Tendue comme une voile au soleil couchant.

Écoute encore : ton pollen au pollen des rochers
Se mélange sur mer,
Ton ventre amène et retire les marées,
Ton sexe occupe les sables chauds des profondeurs[3].


[1]In : Étier suivi de Autres, éd. Poésie/Gallimard.
[2]In : Du domaine suivi de Euclidiennes, éd. Poésie/Gallimard.
[3]In : Terraqué suivi de Exécutoire, éd. Poésie/Gallimard.

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